Les huîtres d'Ostende furent
apportées, mignonnes et grasses, semblables à de
petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant
entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés. Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille; et les convives commencèrent à causer. On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier. Forestier riait beaucoup de l'aventure; les deux femmes déclaraient que le bavard indiscret n'était qu'un goujat et qu'un lâche. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple témoin, un silence de tombeau. Il ajouta : "Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discrétion absolue les uns des autres. Ce qui arrête souvent, bien souvent, presque toujours les femmes, c'est la peur du secret dévoilé." Puis il ajouta, souriant : "Voyons, n'est-ce pas vrai? "Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient à un rapide désir, au caprice brusque et violent d'une heure, à une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur!" Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaidé une cause, sa cause, comme s'il eût dit: "Ce n'est pas avec moi qu'on aurait à craindre de pareils dangers. Essayez pour voir." Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisiennes n'aurait pas tenu longtemps devant la certitude du secret. GF p.114 |
Elle remarqua que Duroy n'avait rien
dit, qu'on ne lui avait point parlé, et qu'il semblait
un peu contraint; et comme ces dames n'étaient point
sorties de l'Académie, ce sujet préféré les retenant
toujours longtemps, elle demanda : "Et vous qui devez être renseigné mieux que personne, monsieur Duroy, pour qui sont vos préférences?" Il répondit sans hésiter: "Dans cette question, madame, je n'envisagerais jamais le mérite, toujours contestable, des candidats, mais leur âge et leur santé. Je ne demanderais point leurs titres, mais leur mal. Je ne rechercherais point s'ils ont fait une traduction rimée de Lope de Vega, mais j'aurais soin de m'informer de l'état de leur foie, de leur coeur, de leurs reins et de leur moelle épinière. Pour moi, une bonne hypertrophie, une bonne albuminurie, et surtout un bon commencement d'ataxie locomotrice vaudraient cent fois mieux que quarante volumes de digressions sur l'idée de patrie dans la poésie barbaresque." Un silence étonné suivit cette opinion. Mme Walter, souriant, reprit: "Pourquoi donc?" Il répondit: "Parce que je ne cherche jamais que le plaisir qu'une chose peut causer aux femmes. Or, madame, l'Académie n'a vraiment d'intérêt pour vous que lorsqu'un académicien meurt. Plus il en meurt, plus vous devez être heureuses. Mais pour qu'ils meurent vite, il faut les nommer vieux et malades." Comme on demeurait un peu surpris, il ajouta: "Je suis comme vous d'ailleurs et j'aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d'un académicien. Je me demande tout de suite: "Qui va le remplacer? " Et je fais ma liste. C'est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d'immortel: " Le jeu de la mort et des quarante vieillards." Ces dames, un peu déconcertées encore, commençaient cependant à sourire, tant était juste sa remarque. Il conclut, en se levant: "C'est vous qui les nommez, mesdames, et vous ne les nommez que pour les voir mourir. Choisissez-les donc vieux, très vieux, le plus vieux possible, et ne vous occupez jamais du reste." Puis il s'en alla avec beaucoup de grâce. Dès qu'il fut parti, une des femmes déclara: "Il est drôle, ce garçon. Qui est-ce?" Mme Walter répondit: "Un de nos rédacteurs, qui ne fait encore que la menue besogne du journal, mais je ne doute pas qu'il arrive vite." Duroy descendait le boulevard Malesherbes gaiement, à grands pas dansants, content de sa sortie et murmurant: "Bon départ." Il se réconcilia avec Rachel, ce soir-là. La semaine suivante lui apporta deux événements. Il fut nommé chef des Échos et invité à dîner chez Mme Walter. Il vit tout de suite un lien entre les deux nouvelles. GF p.149-150 |