"Tu me diras quand il faudra payer?
Elle répondit simplement:
"Mais c'est payé, mon chéri!"
Il reprit:
"Alors, c'est à toi que je le dois?
- Mais non, mon chat, ça ne te regarde pas, c'est moi qui veux faire cette petite folie."
Il eut l'air de se fâcher:
"Ah! mais non, par exemple. Je ne le permettrai point."
Elle vint à lui suppliante, et, posant les mains sur ses épaules:
"Je t'en prie, Georges, ça me fera tant de plaisir, tant de plaisir que ce soit à moi, notre nid, rien qu'à moi! Ça ne peut pas te froisser? En quoi? Je voudrais apporter ça dans notre amour. Dis que tu veux bien, mon petit Géo, dis que tu veux bien?..." Elle l'implorait du regard, de la lèvre, de tout son être.
Il se fit prier, refusant avec des mines irritées, puis il céda, trouvant cela juste, au fond.

GF p.126

Et ils s'embrassèrent tendrement.
Puis il revint à grands pas, se demandant ce qu'il inventerait le lendemain, afin de se tirer d'affaire. Mais comme il ouvrit la porte de sa chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour y trouver des allumettes, et il demeura stupéfait de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait sous son doigt.
Dès qu'il eut de la lumière, il saisit cette pièce pour l'examiner. C'était un louis de vingt francs!
Il se pensa devenu fou.
Il le tourna, le retourna, cherchant par quel miracle cet argent se trouvait là. Il n'avait pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche.
Puis, tout à coup, il devina, et une colère indignée le saisit. Sa maîtresse avait parlé, en effet, de monnaie glissée dans la doublure et qu'on retrouvait aux heures de pauvreté. C'était elle qui lui avait fait cette aumône.
Quelle honte!

GF p.135

Alors il retourna, un soir, aux Folies-Bergère, avec l'espoir d'y trouver Rachel. Il l'aperçut, en effet, dès l'entrée, car elle ne quittait guère cet établissement.
Il alla vers elle souriant, la main tendue. Mais elle le toisa de la tête aux pieds:
"Qu'est-ce que vous me voulez?"
Il essaya de rire:
"Allons, ne fais pas ta poire."
Elle lui tourna les talons en déclarant:
"Je ne fréquente pas les dos verts."
Elle avait cherché la plus grossière injure. Il sentit le sang lui empourprer la face, et il rentra seul.

GF p.143

Mais une voiture passa, découverte, basse et charmante, traînée au grand trot par deux minces chevaux blancs dont la crinière et la queue voltigeaient, et conduite par une petite jeune femme blonde, une courtisane connue qui avait deux grooms assis derrière elle. Duroy s'arrêta, avec une envie de saluer et d'applaudir cette parvenue de l'amour qui étalait avec audace dans cette promenade et à cette heure des hypocrites aristocrates, le luxe crâne gagné sur ses draps. Il sentait peut-être vaguement qu'il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu'ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre.

GF p.167

"Écoute, il y a une chose que tu peux faire sans emprunter de l'argent. Je voulais en acheter pour dix mille francs de cet emprunt, moi, pour me créer une petite cassette. Eh bien, j'en prendrai pour vingt mille! Tu te mets de moitié. Tu comprends bien que je ne vais pas rembourser ça à Walter. Il n'y a donc rien à payer pour le moment. Si ça réussit, tu gagnes soixante-dix mille francs. Si ça ne réussit pas, tu me devras dix mille francs que tu me paieras à ton gré."
Il dit encore:
"Non, je n'aime guère ces combinaisons-là."
Alors, elle raisonna pour le décider, elle lui prouva qu'il engageait en réalité dix mille francs sur parole, qu'il courait des risques, par conséquent, qu'elle ne lui avançait rien puisque les déboursés étaient faits par la Banque Walter.
Elle lui démontra en outre que c'était lui qui avait mené, dans La Vie Française, toute la campagne politique qui rendait possible cette affaire, qu'il serait bien naïf en n'en profitant pas.
Il hésitait encore. Elle ajouta:
"Mais songe donc qu'en vérité c'est Walter qui te les avance, ces dix mille francs, et que tu lui as rendu des services qui valent plus que ça.
- Eh bien, soit, dit-il. Je me mets de moitié avec toi. Si nous perdons, je te rembourserai dix mille francs."
"Le monde ne comprendra jamais et que Vaudrec ait fait de toi son unique héritière et que j'aie admis cela, moi. Recevoir cette fortune de cette façon, ce serait avouer... avouer de ta part une liaison coupable, et de la mienne une complaisance infâme... Comprends-tu comment on interpréterait notre acceptation? Il faudrait trouver un biais, un moyen adroit de pallier la chose. Il faudrait laisser entendre, par exemple, qu'il a partagé entre nous cette fortune, en donnant la moitié au mari, la moitié à la femme."

Elle demanda:

"Je ne vois pas comment cela pourrait se faire, puisque le testament est formel."

Il répondit:

"Oh! c'est bien simple. Tu pourrais me laisser la moitié de l'héritage par donation entre vifs. Nous n'avons pas d'enfants, c'est donc possible. De cette façon, on fermerait la bouche à la malignité publique."

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