ZOLA : « J’ACCUSE » . 

 

Lecture analytique

 

Tableau d’étude des traits caractéristiques de l’écriture engagée (corrigé) :

 

Traits caractéristiques Nommer et définir les procédés  Citer les exemples Commenter

Le ton catégo-

rique 

 

Accumulation de verbes d’action et de volonté, d’expressions de la certitude.

Je n’ignore pas que je me mets sous le coup

 

C’est volontairement que je m’expose

 

J’attends

 

L’acte que j’accomplis ici

 

J’accuse

Les tournures verbales relevées indiquent l’action (j’accomplis, j’accuse) ou le défi, la détermination à affronter les risques de l’entreprise (j’attends, je n’ignore pas que je me mets sous le coup, je m’expose).L’environnement immédiat de ces verbes renforce parfois ces significations (acte, volontairement). L’abondance de ces tournures convient à l’impression de force que Zola cherche à donner à ses adversaires pour les intimider, à ses lecteurs pour les entraîner.
Omniprésence de la première personne du singulier. Le pronom sujet de première personne apparaît 14 fois dans le texte. Sa présence dès le titre , exceptionnelle, est frappante pour le lecteur. L’omniprésence de la première personne confirme cette idée d’engagement personnel. Zola entend mettre tout son poids d’homme de lettres reconnu dans la bataille pour la réhabilitation de Dreyfus.

Le style empha-

tique 

 

L’hyperbole

Moyen révolutionnaire

Explosion de la vérité

Une campagne abominable

Protestation enflammée

L’hyperbole est une exagération de l’expression : elle permet à Zola de dramatiser la situation, de conférer la plus grande solennité à sa déclaration de guerre contre l’injustice.
La métaphore

La passion de la lumière

Le cri de mon âme

L’explosion de la vérité

La métaphore permet à Zola de développer un certain lyrisme, synonyme de passion, de fort engagement affectif. Ce style fleuri est caractéristique de l’art oratoire, notamment de l’éloquence politique traditionnelle.

Les procédés

du ton polé-

mique

 

Lexique de l’agressivité

Mensongers

Frauduleux

Crime juridique

Violé le droit

Esprits de malfaisance sociale

Abominable

Ce vocabulaire agressif caractérise les diverses entorses à la légalité reprochées par Zola à ses adversaires (4 premiers exemples) ou les assimile à des individus habités par le mal et l’intention de nuire (deux derniers exemples). L’importance du vocabulaire agressif traduit l’indignation de l’auteur face à l’injustice.
Ironie A moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement. On reconnaît dans cet exemple le procédé de l’antiphrase : prise à la lettre, la formule semble indiquer une circonstance atténuante pouvant excuser les trois graphologues. Ce sont des faussaires, « à moins que … » .  En réalité, il n’y a chez Zola aucune volonté d’excuser qui que ce soit mais plutôt celle d’ajouter une ironie à une insulte.

Le rythme vigou-

reux du texte

 

Anaphore J’accuse (répété 5 fois) La répétition en tête de phrase et de paragraphe de ce terme-clé produit simultanément un effet de sens et de rythme. Au niveau du sens,  elle met en valeur un mot résumant à lui tout seul le ton et l’intention du texte. Au niveau du rythme elle donne une impression de martèlement énergique et décidé.
Paragraphes courts 8 alinéas en 25 lignes La brièveté des paragraphes donne au texte une rapidité de rythme, un dynamisme, destinés à produire sur le lecteur une impression de fermeté, de clarté et d’impatience. L’orateur ne s’embarrasse pas de mots, il sait ce qu’il veut et où il va : il est urgent d’établir la vérité.

 

 

ZOLA : « J’ACCUSE » .

 

Commentaire composé

 

Introduction :

Situer : Résumer l'affaire Dreyfus – Expliquer qui est Zola au moment où il intervient dans l'affaire Dreyfus –

Caractériser le texte : Rappeler que ce passage est la fin, la conclusion de son célèbre article et qu'il est précédé d'une argumentation circonstanciée dont le passage à étudier est en quelque sorte la récapitulation synthétique.

Annoncer les axes d'interprétation : On va donc trouver dans ce texte une structure logique, reflet du caractère démonstratif et argumentatif du discours tenu par Zola. Ce sera notre premier axe d'analyse. Mais, dans cette conclusion, l'auteur cherche surtout à emporter l'adhésion du lecteur par son éloquence. Ce sera notre seconde partie.

 

I – La contestation d'une décision de justice au nom de valeurs universelles

 

1) Thèse du texte :

            Aucune phrase suffisamment synthétique ne nous paraît résumer l’idée principale du texte. Cette thèse, cependant, se dégage très clairement de l’étude des champs lexicaux dominants.

            Le texte apparaît structuré par l’opposition entre les champs lexicaux du mensonge et de la vérité. Il y a deux parties distinctes dans le texte. Dans la première (lignes 1-11, les accusations) domine nettement un champ lexical du mensonge : « mensongers », « frauduleux »,  « égarer l’opinion »,  «acquitter sciemment un coupable » ;  auquel on peut associer les thèmes voisins de la dissimulation : « une pièce restée secrète » et de l’illégalité :  « violer le droit », « illégalité », « crime juridique ». Dans la seconde partie (lignes 12-26, l’engagement personnel), le thème de la vérité revient avec insistance. L’auteur s’engage à  «hâter l’explosion de la vérité », apporter la « lumière » (métaphore conventionnelle de la vérité) , traiter l’affaire « au grand jour » (toujours la même métaphore de la lumière).

            La thèse défendue par Zola, c’est que le Capitaine Dreyfus a été condamné dans un procès truqué et que la vérité doit maintenant apparaître au grand jour.

 

2) Première partie du texte : Zola résume ses principales accusations.

            Les différentes accusations portées par Zola sont facilement repérables. Il y a d’abord la répétition anaphorique de « j’accuse » (lignes 1, 5, 8 et 9) qui permet de dénombrer quatre accusations. Il y a ensuite la division de cette partie du texte en trois paragraphes, chaque paragraphe correspondant à une cible différente : les experts-graphologues dans le premier, le ministère de la guerre (les « bureaux » de la guerre) dans le second, la justice militaire dans le troisième. Le troisième paragraphe rassemble deux accusations différentes dans la mesure où Zola accuse tour à tour deux conseils de guerre successifs. Aux graphologues, Zola reproche d’avoir truqué leurs expertises. Il reproche au ministère d’avoir orchestré une campagne de propagande mensongère par voie de presse.  Enfin, il signale les irrégularités commises par la procédure judiciaire : la dissimulation d’un document, d’une pièce à conviction, par le premier conseil de guerre ; puis l’acquittement de cette faute par le second conseil, de façon délibérée (« sciemment ») et concertée (« sur ordre »). 

 

3) Deuxième partie : Zola exprime les valeurs qui sous-tendent son réquisitoire.

            De façon métaphorique le plus souvent, Zola laisse transparaître les valeurs au nom desquelles il ose remettre en cause une décision de justice. Le paragraphe ligne 20-23 permet de dégager trois idées.

            D’abord , par sa  « passion de la lumière », Zola semble revendiquer l’idéal rationaliste du XVIIIème siècle. Au XVIII ème siècle, « Les Lumières »  désignent la raison, les connaissances positives, l’esprit critique, par opposition avec l’obscurantisme, les superstitions religieuses, les dogmatismes idéologiques. Par cette référence, Zola suggère la continuité entre son engagement dans une affaire d’anti-sémitisme et celui de Voltaire contre la persécution du protestant Jean Calas. Il se situe dans la lignée des grands intellectuels engagés.

            Zola ajoute qu’il combat  « au nom de l’humanité  qui a tant souffert et qui  a droit au bonheur ».  C’est revendiquer implicitement la foi dans le Progrés : opposition du passé, dévalorisé, assimilé à la souffrance, et du futur qui ouvrira le « droit au bonheur ». C'est l’idéal démocratique et humaniste de la révolution française de 1789 : les droits fondamentaux de la personne humaine, l’égalité des hommes, notamment devant la justice.

            Enfin, Zola met au dessus de tout la liberté de conscience. Il justifie sa révolte par la spontanéité de son indignation : « Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon  âme ». Par cette phrase, Zola revendique en quelque sorte le droit à la désobéissance civile face à l’état, lorsque l’individu possède l’intime conviction d’avoir raison contre la loi. Il affirme le droit de s’élever contre la loi écrite (une décision de justice, ici, par exemple) lorsqu’elle apparaît injuste au regard de la « loi naturelle », dont le cœur humain (« l’âme ») est le seul juge.

            Ces valeurs : Raison, Progrès, Liberté de conscience, sont le fonds commun de la civilisation française et européenne, elles sont a priori des valeurs partagées par tous, communes à l'auteur du texte et à ses lecteurs. C'est donc une habileté de la part de Zola de les mettre en avant pour achever d'emporter l'adhésion de son lecteur.

           

 

II – Un morceau d'éloquence polémique

 

            Cet extrait est la conclusion de l’article . C’est pourquoi sa fonction est plus rhétorique que proprement argumentative : les véritables preuves ont été développées en détail dans le corps de l’article, nous n’avons ici que la récapitulation des principales idées (les accusations, les valeurs au nom desquelles elles sont portées) et surtout une envolée oratoire destinée à persuader le lecteur de l’engagement personnel de l’écrivain. Plusieurs procédés sont caractéristiques de l’écriture engagée.

 

1)      Premièrement, le ton catégorique du texte :

Zola use fréquemment de verbes d’action ou de volonté ,  d’expressions disant la certitude ou la détermination énergique : « je n’ignore pas… » ; « c’est volontairement que je m’expose » ; « je n’ai qu’une passion… » ; « j’attends » ; « l’acte que j’accomplis ici…. » ; etc… L’omniprésence de la première personne dans ces expressions, comme dans le martèlement anaphorique de la formule « J’accuse », répétée cinq fois, confirme cette idée d’engagement personnel. Zola entend faire sentir au lecteur qu’il met tout son poids d’homme de lettres reconnu dans la bataille pour la réhabilitation de Dreyfus.

           

2)      Deuxièmement, le style emphatique, utilisant l’hyperbole souvent combinée avec la métaphore :

L’hyperbole est une exagération de l’expression :  elle consiste à dire par exemple « moyen révolutionnaire » au lieu de moyen exceptionnel, « explosion de la vérité » au lieu de la révélation de la vérité. L’usage de l’hyperbole ajoute à la solennité de cette déclaration de guerre à l’injustice : « une campagne abominable », « protestation enflammée », « moyen révolutionnaire ». La métaphore, le « style fleuri », apporte le lyrisme indispensable à ce genre d’envolée oratoire : « la passion de la lumière » ; « le cri de mon âme »,  « l’explosion de la vérité ».

 

3)      Troisièmement, les procédés du ton polémique :

On note le choix d’un vocabulaire agressif  et injurieux  pour les personnes mises en cause. Zola ne mâche pas ses mots :  « mensongers » ; « frauduleux » ; « abominable » ; « crime juridique » ; « violé le droit » ; « esprits de malfaisance sociale ». L’ironie est mise à contribution pour mettre les rieurs du côté de l’orateur, quand il affirme que les trois graphologues ont menti « à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue ou du jugement ».  L’ironie consiste à s’exprimer par antiphrase. Ici, par exemple, l’excuse apparente (« à moins que… ») cache une injure aggravée (ils sont peut être fous ou mal voyants).

           

4)      Enfin, le rythme vigoureux du texte :

Scandé par l’anaphore de « j’accuse », « musclé » par une construction en paragraphes courts (8 alinéas en 25 lignes),  le rythme du texte dégage une impression de dynamisme destiné à suggérer au lecteur l’importance du crime (mise en valeur du terme « accuser »), l’urgence de sa dénonciation et la détermination de l’auteur. 

Conclusion :

 

            Ce texte est un bon exemple d'éloquence oratoire, mise au service d'une cause généreuse. Par son intervention dans l'affaire Dreyfus, Zola s'inscrivait dans une tradition d'engagement politique de l'intellectuel illustrée notamment par Voltaire au XVIII° siècle, Hugo au XIX°. Ces écrivains ont su à l'occasion consacrer leur savoir-faire, leur habileté rhétorique, à combattre l'intolérance, l'injustice. Ils ont mis leur célébrité au service de la cause défendue.