INTRODUCTION :
Situer : La mode des dictionnaires au "Siècle des Lumières"(l'Encyclopédie de Diderot et autres); la fonction argumentative et polémique du genre de l'article de dictionnaire au XVIII° siècle; le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire.
Lecture
du texte.
Comment se présente le texte ? : 5 § aux sujets différents; le plus souvent sans transition logique = succession des définitions et des exemples dans un dictionnaire.
Annonce des axes : le but de la lecture méthodique sera de dégager la thèse défendue par Voltaire et de commenter deux particularités de la méthode argumentative : le recours constant à l'ironie comme arme de la polémique; l'approche diversifiée du problème à travers les différents paragraphes (une argumentation "éclatée").
I
– UNE DENONCIATION DE LA TORTURE EN FRANCE ( LE THEME ET LA THESE DU TEXTE - QUESTION 1)
Ce
texte de Voltaire est un article extrait de son "Dictionnaire
Philosophique", intitulé "Torture". Ce terme et le champ lexical
qui le relaie tout au long du texte constituent donc le thème de
l'argumentation. Le mot "torture" apparaît à plusieurs reprises (l.1,
5, 23). Nous trouvons en outre l'expression "la grande et la petite
torture" (l.5) qui correspond au vocabulaire judiciaire du XVIII° siècle;
le mot "question", synonyme aujourd'hui vieilli du mot
"torture" (l.12 et 15); l'euphémisme ironique "ces
expériences" (l.8). Le quatrième paragraphe nous gratifie d'une
énumération de diverses catégories de tortures : les juges "ordonnèrent
qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son
corps à petit feu" (l.22).
La présence récurrente d'un champ lexical
du plaisir signale la thèse soutenue par Voltaire. Pour cet auteur
"il n'y a point au fond de nation plus cruelle que la française"
(dernière phrase du texte). Et la preuve de cette cruauté, c'est que les
français pratiquent la torture sans nécessité et par pur plaisir. Le mot
"plaisir" est prononcé deux fois (l. 4 et 14); au second paragraphe.
A propos de la femme du magistrat, Voltaire nous précise qu'elle "a pris
goût" à ses récits de torture (2°§). La torture est infligée pour des
raisons futiles, comme dans cet exemple du 4°§ : "mais ils l'appliquèrent
encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées…".
Ailleurs, la torture est présentée comme une sorte de divertissement :
"après quoi on recommence; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs
: "Cela fait toujours passer une heure ou deux"" (1°§).
II
– LE RECOURS CONSTANT A L'IRONIE (QUESTIONS 2 ET 3 AUGMENTEES)
Définition : L'ironie consiste à suggérer le contraire de ce qu'on dit.
Procédés de l'ironie : Elle repose sur divers procédés de décalage entre les mots et la pensée, entre le sens littéral apparent du texte et le sens réel mais implicite que le lecteur complice est invité à restituer. Elle revient souvent à faire entendre dans le texte une autre voix que celle de l'auteur. L'auteur dit les choses non comme il les voit lui-même mais comme l'adversaire pourrait les dire.
Aussi, lorsque vous aurez un procédé ironique à commenter, vous devrez toujours avoir recours à une notion d'opposition, de distanciation ou de décalage :
· procédé de l'euphémisme, décalage entre la faiblesse du mot employé et la gravité de l'idée suggérée ("ces expériences");
· opposition entre l'excuse apparente et l'accusation sous-entendue ("parce qu'après tout les femmes sont curieuses"); entre l'éloge apparent ("les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains"), et le contexte accusateur ("ordonnèrent qu'on lui arrachât la langue…");
·
alliance de mots ou d'expressions de tonalités
opposées : "fut convaincu / d'avoir chanté des chansons impies; et
même / d'avoir passé (…) sans enlever son chapeau" (décalage entre
la gravité de l'accusation d'après les termes employés dans la première partie
de l'expression et la légèreté de la faute décrite dans la seconde partie );
"Mon petit cœur, / n'avez-vous fait donner aujourd'hui la question à
personne?" (décalage entre la mièvrerie de la formule introductive
et la réalité atroce évoquée par la question qui suit); "il se donne le
plaisir / de l'appliquer à la grande et la petite torture" (décalage
entre les mots utilisés par Voltaire dans la première partie de la phrase =
plaisir, et l'idée qu'il veut nous communiquer dans la seconde partie : la
torture est une coutume atroce et ceux qui l'appliquent sont des sadiques
déguisés en hommes de lois); etc…
· raisonnements si manifestement illogiques ou excessifs qu'ils obtiennent l'effet opposé de l'objectif apparemment visé . Exemple 3°§ :
Dans le troisième
paragraphe, Voltaire attribue aux français un raisonnement peu logique. Ce
raisonnement se déroule en deux temps. Premier temps : les français trouvent
les anglais inhumains de leur avoir pris le Canada. Ce jugement est dicté à
l'évidence par un préjugé patriotique : ces mêmes français auraient-ils accusé
la France d'inhumanité si elle avait gagné la guerre qui l'opposa à
l'Angleterre pour la possession du Canada en 1763? Deuxième temps : les
français ne parviennent pas à comprendre que des êtres aussi inhumains que le
sont les anglais aient eu l'humanité d'abolir la torture. Cette conclusion,
venant de partisans de la torture, est pour le moins cocasse, car elle repose
sur l'aveu implicite que la torture est un acte inhumain. Le raisonnement prêté
aux français est donc doublement illogique : dans sa première partie, parce
qu'il repose sur un préjugé irrationnel; dans sa seconde, parce qu'il est
contradictoire avec ce qu'il veut démontrer.
L'intention de Voltaire est ici de mettre en valeur l'abolition de la torture, dont l'Angleterre a donné l'exemple, et de faire apparaître par contraste l'inhumanité de la coutume française . Dans ce but, il utilise un procédé classique de l'ironie qui consiste à donner la parole à l'adversaire en lui prêtant un raisonnement incohérent qui ridiculise sa position. Le contexte éclaire d'ailleurs sans hésitation possible la visée polémique du paragraphe (cf. l'incise "je ne sais pourquoi" dans : "Les français qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain").
III
- UNE ARGUMENTATION DIVERSIFIEE (QUESTION 4)
a) Pour chaque §, préciser le domaine de l'exemple, la modalité d'écriture et l'argument implicite. Afin de ne rien oublier, vous pouvez vous entraîner à retrouver et mémoriser les idées avec ce tableau :
Diversité dans les sujets abordés : - Donnez un titre à chaque paragraphe - Démontrez que chaque changement de paragraphe correspond à un changement de sujet, de domaine.
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Diversité de
"types de texte" : -
Etudiez dans chaque paragraphe les temps représentés, les connecteurs - Quel type de texte vous semble dominer dans le § : le narratif, l’informatif, ou l’argumentatif ? |
Portée argumentative : Montrez que chaque paragraphe contient implicitement un argument différent dénonçant la cruauté des Français dans l’usage de la torture.
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§1 | |||
§2 | |||
§3 | |||
§4 | |||
§5 |
Pour rendre compte du tableau, vous pouvez suivre un plan synthétique :
la variété des exemples utilisés dans les 5 §
la diversité des modalités d'écriture dans les 5 §
la diversité des arguments dans les 5 §
b) Quel est l’intérêt de ce mode d’argumentation ?
CONCLUSION
:
Le texte présente un aspect décousu, succession abrupte d'exemples à valeur argumentative, qui n'est pas sans rappeler l'organisation d'un article de dictionnaire. Peut-être faut-il voir là de la part de Voltaire la volonté de respecter le genre auquel il a emprunté le titre de son ouvrage : "Dictionnaire philosophique". La diversité des paragraphes, propre au dictionnaire, lui permet d'aborder le problème traité sous ses différents aspects, dans un souci d'exhaustivité. Ce type de construction autorise des effets de surprise par le caractère abrupt des transitions; il permet de renouveler l'intérêt par l'alternance de l'argumentation et de la narration, du raisonnement et de l'exemple. Ajoutons-y l'ironie, et nous avons l'explication de l'attrait du texte, de l'impression de virtuosité qu'il laisse au lecteur. L'argumentation y gagne en efficacité. Voltaire allie à l'art de convaincre ce que Pascal appelait "l'art d'agréer".