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Extraits de Voltaire et de Rousseau Lecture dirigée des deux extraits Commentaire composé du Poème sur le désastre de Lisbonne v1-v20

 

 

LE DEBAT VOLTAIRE/ROUSSEAU AU SUJET DU DESASTRE DE LISBONNE

LECTURE DIRIGEE  ET COMPAREE DE DEUX EXTRAITS.

 

Pour une information plus complète, 
pour lire une version numérisée du Poème sur le désastre de Lisbonne (intégral), 
pour lire la lettre de Rousseau à Voltaire au sujet du  Poème sur le désastre de Lisbonne (intégrale), 
consulter le site : 
"Tout est bien : le dispute Voltaire / Rousseau".
http://membres.lycos.fr/nrub/disputelisbonne.htm  

 

 

 

Voltaire : Poème sur le désastre de Lisbonne  - 1756 (extraits)

 

O malheureux mortels ! ô terre déplorable !

O de tous les mortels assemblage effroyable !

D’inutiles douleurs éternel entretien :

Philosophes trompés qui criez, « Tout est bien »

Accourez, contemplez ces ruines affreuses,

Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,

Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,

Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;

Cent mille infortunés que la terre dévore,

Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,

Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours

Dans l’horreur du tourment leurs lamentables jours !

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,

Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois

Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »

Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :

« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

(…)

Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire.

Quoi ! l’univers entier, sans ce gouffre infernal,

Sans  engloutir Lisbonne, eût-il été plus mal ?

Etes-vous assurés que la cause éternelle

Qui fait tout, qui sait tout,  qui créa tout pour elle,

Ne pouvait nous jeter dans ces tristes climats

Sans former des volcans allumés sous nos pas !

Borneriez-vous ainsi la suprême puissance ?

Lui défendriez–vous d’exercer sa clémence ?

L’éternel artisan n’a-t-il pas dans ses mains

Des moyens infinis tout prêts pour ses desseins ?

(…)

Mais comment concevoir un Dieu, la bonté même,

Qui prodigua ses biens à ses enfants qu’il aime,

Et qui versa sur eux les maux à pleines mains ?

Quel œil peut pénétrer dans ses profonds desseins :

De l’être tout parfait le mal ne pouvait naître ;

Il ne vient  point d’autrui, puisque Dieu seul est maître :

Il existe pourtant. O tristes vérités !

O mélange étonnant de contrariétés !

Quelque parti qu’on prenne, on doit frémir, sans doute.

Il n’est rien qu’on connaisse, et rien qu’on ne redoute.

La nature est muette, on l’interroge en vain ;

On a besoin d’un Dieu qui parle au genre humain.

Il n’appartient qu’à lui d’expliquer son ouvrage,

De consoler le faible, et d’éclairer le sage.

L’homme, au doute, à l’erreur, abandonné sans lui,

Cherche en vain des roseaux qui lui servent d’appui.

Leibniz ne m’apprend point par quels nœuds invisibles,

Dans le mieux ordonné des univers possibles,

Un désordre éternel, un chaos de malheurs,

Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs,

Ni pourquoi l’innocent, ainsi que le coupable,

Subit également ce mal inévitable.

 

Rousseau : Lettre à Voltaire du 18 Août 1856 (extraits)

(…)
Je ne vois pas que l’on puisse chercher la source du mal moral ailleurs que dans l’homme libre, perfectionné, partant corrompu ; et quant aux maux physiques (…) ils sont inévitables dans tout système dont l’homme fait partie (…) la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre, et peut-être nul. Tous eussent fui au premier ébranlement, et on les eut vus le lendemain à vingt lieues de là, tout aussi gais que s’il n’était rien arrivé. Mais il faut rester, s’opiniâtrer autour des masures, s’exposer à de nouvelles secousses, parce que ce qu’on laisse vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre pour vouloir prendre l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ?
(…)
Pour revenir au système que vous attaquez, je crois qu’on ne peut l’examiner convenablement sans distinguer avec soin le mal particulier, dont aucun philosophe n’a jamais nié l’existence, du mal général que nie l’optimisme. Il n’est pas question de savoir si chacun de nous souffre ou non ; mais s’il était  bon que l’univers fut, et si nos maux étaient inévitables dans sa  constitution. Ainsi l’addition d’un article rendrait, ce semble, la proposition plus exacte, et, au lieu de tout est bien, il vaudrait mieux dire, le tout est bien, ou tout est bien pour le tout….
(…)
Si je ramène ces questions diverses à leur principe commun, il me semble qu’elles se rapportent toutes à celle de l’existence de Dieu. Si Dieu existe, il est parfait, s’il est parfait il est sage, puissant et juste ; s’il est sage et puissant tout est bien ; s’il est juste et puissant mon âme est immortelle, trente ans de vie ne sont rien pour moi, et sont peut-être nécessaires au maintien de l’univers. Si l’on m’accorde la première proposition, jamais on n’ébranlera les autres ; si on la nie, à quoi bon disputer sur ses conséquences ….

 

 

LE DEBAT VOLTAIRE/ROUSSEAU AU SUJET DU DESASTRE DE LISBONNE

LECTURE DIRIGEE ET COMPAREE D’EXTRAITS DES DEUX AUTEURS :

Texte 1 - Voltaire : Poème sur le désastre de Lisbonne (1756)

Texte 2 – Rousseau : Lettre à Voltaire du 18 Août 1756.

 

Questions :

1)      Etudiez dans les 20 premiers vers du poème de Voltaire :

a)      les marques de l’énonciation

b)      les étapes du raisonnement

2)      Comparez l’argument développé par Voltaire dans le deuxième extrait de son poème (vers 21-31) à l’argument développé par Rousseau dans les lignes 1 à 20.  Reformuler et montrer qu’ils se répondent.

3)      Comparez l’argument développé par Voltaire dans le troisième extrait de son poème (vers 32-53) à l’argument développé par Rousseau dans les lignes 21 à 26.  Reformuler et montrer qu’ils se répondent.

 

 

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Extraits de Voltaire et de Rousseau Lecture dirigée des deux extraits Commentaire composé du Poème sur le désastre de Lisbonne v1-v20

 

 

 

COMMENTAIRE COMPOSE DES VERS 1-20 DU POEME DE VOLTAIRE

 

   Le 1° Novembre 1755 survient une catastrophe qui produit sur Voltaire une forte impression. Plusieurs de ses œuvres en portent la marque (« Candide » notamment). Il s’agit d’un tremblement de terre, qui détruit toute la ville basse de Lisbonne, faisant 40 000 victimes. Voltaire rédige dés qu’il apprend la nouvelle un poème intitulé « Poème sur le désastre de Lisbonne ».
   C’est un long poème en alexandrins, dont on se propose ici d’étudier les vingt premiers vers. On peut qualifier ce texte de « lyrique » et de "pathétique", dans le sens où Voltaire y développe sous une forme poétique ses sentiments personnels face à un événement qui le touche, sa pitié pour les victimes de la catastrophe. On peut aussi le définir comme « polémique ». En effet, Voltaire s’appuie sur  cet événement dramatique pour argumenter contre les adeptes de l’Optimisme (philosophie de Leibniz, diffusée en France par le « parti religieux », notamment les Jésuites). Le sous-titre du poème l’indique explicitement : « Examen de cet axiome : Tout est bien » .
    Notre analyse du texte aura pour but d’éclairer ces divers aspects. Nous montrerons que l’énonciation du texte révèle l’implication personnelle et l’intention polémique de l’auteur, nous analyserons les procédés exprimant l’émotion, l’indignation de l’auteur et la pitié pour les victimes, enfin nous étudierons les arguments combattus et défendus.

 

*

 

   Les indices d’énonciation de ces vingt premiers vers du poème montrent que Voltaire prend position : d’abord en exprimant sa compassion et sa souffrance, ensuite en prenant à partie divers destinataires.
  
En effet, la présence d’un vocabulaire affectif (« effroyable » (v.2), « affreuses » (v.5), « malheureux » (v.6), « lamentables » (v.12) etc…) suffit à démontrer le caractère fortement subjectif du texte, même si la première personne n’y est pas explicitement présente.
  
En outre, le texte établit d’emblée un dialogue fictif avec divers destinataires. Dans les trois premiers vers, l’auteur s’adresse à l’humanité toute entière. L’humanité y est désignée sous diverses appellations : les « mortels », la « terre » (v.1) l’ « assemblage » de « tous les mortels » (v.2). Puis, au vers 4 apparaît un nouveau destinataire, plus précis : les « philosophes trompés ». Le vers 4 désigne assez clairement pour le lecteur connaissant le contexte les adeptes de la philosophie optimiste de Leibniz, dont on reconnaît le slogan « Tout est bien » (v.4).
  
Voltaire s’adresse à ces destinataires à travers le procédé éminemment polémique de l’apostrophe. L’apostrophe est une interpellation quelque peu brutale. Dans les deux premiers vers, l’interpellation est introduite par l’interjection « O ». Dans les vers suivants, une succession de tournures impératives : « Accourez, contemplez » (v.5) et interrogatives : « direz-vous » (v.15 et 17) organise la pression argumentative sur ces destinataires que l’auteur prend à partie. On notera notamment l’agressivité de la formule « direz-vous » qui signifie : oserez-vous dire, aurez-vous l’indécence de dire que « tout est bien » ?
   La charge polémique du texte se déduit donc du vocabulaire employé (l’adjectif « trompés » complétant « philosophes » au vers 4), du caractère brutal inhérent à la tournure de l’apostrophe.

*

   On appelle « poésie lyrique » les textes qui expriment les sentiments du poète pour les faire partager au lecteur. Dans ce sens très général, on peut définir ce texte comme un poème lyrique. Lyrique et pathétique. En effet, il développe avant tout les sentiments personnels de Voltaire devant la tragédie de Lisbonne, sa pitié pour les victimes et son indignation devant l’injustice du destin. Il utilise tous les moyens de la poésie et de l’éloquence pour faire partager ces sentiments au lecteur.
   On notera d’abord l’omniprésence d’un vocabulaire pathétique, c’est à dire soulignant la tristesse, la souffrance : l’amas de corps est « effroyable » (v.2) ; les ruines « affreuses » (v.5) ; les mourants « sanglants » (v.10) plongés dans l’ « horreur » (v.12). On cherche à attirer la compassion du lecteur pour les victimes du tremblement de terre, ces « malheureux » (v.6), ces « infortunés » (v.9) dont on nous décrit les « tourments » (v.12), les « lamentables jours » (v.12).
     Plusieurs procédés syntaxiques sont employés par Voltaire pour renforcer la valeur émotionnelle de ce vocabulaire : la phrase accumulative (v10-11 :  « Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore / Enterrés sous un toit …) ; l’anaphore (répétition de la construction grammaticale :  « Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, / Ces femmes, ces enfants… » ; la progression depuis les « ruines affreuses » du vers 5 jusqu’aux « cent mille infortunés » du vers 9.
    
Nous avons désigné ce passage sous le nom de « tableau » : il conviendrait de mentionner à ce propos le procédé qui vise à décrire le tremblement de terre comme s’il était non un fait passé mais un événement en train de s’accomplir sous les yeux du lecteur, encore présent au moment de l’énonciation : c’est notamment le rôle de l’adjectif démonstratif « ces » (répété 7 fois), des verbes « accourez, contemplez » (vers 5) qui semblent attirer les philosophes vers un spectacle en train de se dérouler, de vers 13-14 qui les somme de réagir face « aux cris », « au spectacle effrayant ».
  
On pourrait ajouter encore l’usage d’hyperboles (« assemblage effroyable », « amas de victimes », « cent mille infortunés » …) visant à produire un effet de quantité. L’utilisation d’un terme noble comme « marbres » pour désigner en réalité les pierres des maisons est aussi un effet d’exagération et d’éloquence.
   
A ces procédés dramatiques ou pathétiques, on ajoutera enfin les procédés rhétoriques de l’indignation : l’interrogation oratoire (« direz-vous … ? direz-vous… ?», « Quel crime, quelle faute… ? » vers15-20), série de questions qui ne peuvent avoir qu’une réponse négative et qui sont par conséquent de fausses questions équivalant à une affirmation véhémente de la thèse défendue par l’auteur ; citons aussi l’apostrophe, les tournures impératives et exclamatives commentés plus haut.
    Cet ensemble de procédés apporte au texte un ton passionné, un ton d’exaltation, une intensité émotionnelle qui sont bien la marque du lyrisme. Leur fonction n’est pas seulement poétique, elle est aussi argumentative. Il s’agit de persuader le lecteur par des moyens autres que rationnels.

 

*

  
   Le texte n'en obéit pas moins à une structure rationnelle.
   Le vers 3 contient un premier argument qui ne vise pas encore les philosophes optimistes mais l’humanité tout entière : Voltaire reproche aux hommes d’ « entretenir », c’est à dire de maintenir, de renouveler sans cesse les causes de souffrance : « D’inutiles douleurs éternel entretien ». L’humanité ne cesse de nourrir, sans qu’on en voie la fin, des douleurs ne servant à rien. Elle alimente par ses propres conflits, ses propres fautes, des sources de malheur qui s’ajoutent à ceux qui ne dépendent pas d’elle, comme les catastrophes naturelles.
  
Le vers 4 annonce la thèse que Voltaire va combattre : celle qui consiste à prétendre que le monde est bien fait : « Tout est bien ». Elle est immédiatement suivie (vers 5-12) d’une description des dégâts provoqués par le tremblement de terre tels que Voltaire les imagine. Ce « tableau » dramatique amène dans l’argumentation les exemples concrets, les faits sur lesquels Voltaire compte s’appuyer pour invalider la thèse optimiste. Ils constituent implicitement un contre-argument à la thèse du vers 4.
  
La phrase suivante (vers 13-16) renouvelle ce mode de contre-argumentation : elle commence sur deux vers par un résumé du tableau précédent, puis ouvre les guillemets pour citer l’argument à réfuter. Il s’agit de l’idée selon laquelle le mal serait nécessaire, fatal, correspondrait à une « loi éternelle », à un « choix » fait par Dieu concernant les hommes. On remarquera la malice de Voltaire qui introduit dans la formulation de l’argument prêtée à ses adversaires et présentée entre guillemets certains éléments qui dans son esprit rendent l’idée contradictoire : « qui d’un dieu libre et bon nécessitent le choix » (vers 15). Implicitement , Voltaire suggère l’idée qu’un Dieu bon, libre de ses choix, ne saurait logiquement avoir édicté des lois si cruelles. L’argument prêté à ses adversaires contient donc en lui-même son principe de réfutation. La proposition du vers 16, attribuée par Voltaire aux optimistes, présente en réalité son propre contre-argument.
  
Enfin, les vers 17-20 rouvrent les guillemets pour présenter un nouvel argument attribué aux optimistes : l’argument de la vengeance divine. Dieu provoquerait des catastrophes naturelles comme autant de punitions pour les crimes des hommes. A cet argument, Voltaire réplique par l’argument des enfants. Leur innocence ne peut justifier aucune punition.
  
Cette analyse démontre le caractère argumentatif du poème de Voltaire : il répond ici à des idées précises, qu’il attribue à ses adversaires, et qu’il présente entre guillemets. Ce faisant, il établit un dialogue fictif, servant d’assise à une véritable contre-argumentation.

 

*

   L’analyse de ce début du Poème sur le désastre de Lisbonne nous a permis d’identifier un projet d’écriture singulier : il s’agit certes d’un texte poétique, dont nous avons démontré la force lyrique ; mais c’est aussi un texte argumentatif. S’appuyant sur un événement particulièrement dramatique, le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, et sur l’émotion que cette tragédie a suscité en lui, sentiment dont on ne saurait remettre en cause la sincérité, Voltaire entreprend de réfuter les théories de Leibniz et de ses disciples, connues sous le nom d’Optimisme. Il met au point un dispositif d’énonciation polémique à travers lequel il prend à partie ses adversaires.

   Cette analyse pourrait s’étendre, bien entendu, à l’ensemble de ce long poème, qui a suscité au XVIIIème siècle un débat d’idées, avec notamment la réaction hostile de Rousseau. Ce débat sur la place du mal dans la création divine est à l’origine de la rédaction par Voltaire de son œuvre peut-être la plus fameuse : Candide.

 

 

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QUELQUES EXEMPLES DE QUESTIONS POUR L'ORAL DU BAC

Quelles tonalités reconnaissez-vous dans ce poème? Quelles sont leurs fonctions respectives ?

Quel est le schéma argumentatif de ce poème didactique ?

Quelle forme de dénonciation trouvez-vous la plus efficace, celle de ce Poème sur le désastre de Lisbonne ou celle du chapitre VI de Candide ?

 

 

 

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