Bilan de lecture du livre I          Bilan de lecture du livre IV         Résumé du Livre IV
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LES CONTEMPLATIONS

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BILAN DE LECTURE DU  LIVRE I  AURORE

   

          Lorsqu’on observe les dates d’écriture des 7 poèmes lus dans ce premier livre, telles que les révèlent les manuscrits de Victor Hugo (colonne de droite du tableau), on constate qu’elles s’échelonnent entre 1842 et 1855. Victor Hugo a donc entre 40 et 53 ans lorsqu’il rédige ces textes présentés comme des souvenirs de sa jeunesse (comme l’indique le titre « Aurore » et le sujet des poèmes). Quatre des 7 poèmes ont été écrits en exil, à Jersey.

           Rien d’étonnant à cela. Par définition, une autobiographie est l’œuvre d’un homme qui se souvient d’un moment de sa vie, souvent de ses jeunes années, parfois de sa vie entière : ici ce sont par exemple les premiers élans du cœur, l’école, les premières batailles littéraires, mais aussi l’amour de Victor Hugo pour les enfants, pour ses filles, pour la jeunesse en général.

            Mais lorsqu’on confronte ces dates réelles de rédaction avec les dates indiquées au bas des poèmes, l’on est surpris de constater que beaucoup de ces poèmes ont été antidatés. Pourquoi ?

           

Les Contemplations : un « journal intime »  poétique ?

 

            « Une destinée est écrite là jour à jour » écrit Hugo dans sa Préface. « La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et les souffrances, l’a déposé (ce livre) dans son cœur (le cœur du poète ». Hugo présente donc son livre comme une sorte de journal de bord, une succession de moments de sa vie enregistrés au fur et à mesure et transformés en poèmes. Il ne souhaite pas que l’on y trouve le point de vue rétrospectif d’un homme de 40-50 ans mais plutôt une succession d’états d’âme témoignant de son histoire intérieure, de son évolution. Une « histoire de son âme », mais pas une histoire faite après coup, une histoire qui s’est faite toute seule : « L’auteur a laissé pour ainsi dire ce livre se faire en lui » (Préface).

            Cependant, il n’est pas tout à fait vrai que le livre ce soit fait ainsi. Certes, on voit bien que le poème Mes deux filles a été écrit à peu de choses près au moment même de l’événement rapporté. Les dates coïncident. La biographie de Victor Hugo confirme qu’il a passé en famille plusieurs étés à l’endroit indiqué (le Château de la Terrasse) au début des années 1840. Ce poème a donc toutes les chances d’être réellement une page du journal intime d’un père comblé.

            Mais les choses se compliquent déjà pour Lise. Là aussi les dates coïncident (Mai 1843) mais nous sommes dans le souvenir : un homme de 31 ans se rappelle une enfance qui s’éloigne.

            Quant aux autres textes, ils ont tous été écrits longtemps après les faits qu’ils évoquent, lorsque Victor Hugo a conçu le projet des Contemplations, dans les années 40-50. Si l’auteur leur avait laissé leur date réelle de composition, ils auraient difficilement pu passer pour des témoignages directs de ses états d’âme. C’est sans doute pour faire coïncider autant qu’il était possible la progression des dates de rédaction avec la chronologie des événements évoqués que Hugo leur a attribué des dates fictives.

            Ainsi, La vie aux champs est antidaté de 6 ans pour faire coïncider la date d’écriture avec la date réelle du séjour de Victor Hugo au château de la Terrasse, où l’on sait que sa famille a passé ses vacances entre le 11 Mai et le 28 Août 1840. De même les poèmes d’amour juvéniles que sont Elle était déchaussée et Vieille Chanson du jeune temps sont plus vraisemblablement datés du début des années 1830, où Hugo avait 28 ou 29 ans que des années 1850. C’est la même logique qui préside au déplacement de la date de ses deux poèmes polémiques : Réponse à un acte d’accusation et A propos d’Horace. En situant le premier en 1834, il suggère qu’il l’a écrit en pleine bataille romantique, c’est à dire au moment de sa carrière qu’évoque le poème, alors qu’il l’a écrit en réalité beaucoup plus tard. En situant le second en 1831, il rapproche la date de rédaction de son expérience vécue de l’école. Il donne donc l’impression au lecteur d’avoir écrit ces poèmes « à chaud » et de lui livrer un reflet immédiat de son expérience vécue.

 

  

L’autobiographie : simple recueil de souvenirs ou entreprise de reconstruction du passé ?

 

            Les Contemplations posent bien le problème de l’authenticité dans l’autobiographie. Toute autobiographie est un travail de reconstitution du passé. Or, est-il possible de reconstituer sans reconstruire, c’est à dire : sélectionner, réorganiser, arranger, réviser, déformer ? Surtout lorsqu’on souhaite en même temps faire œuvre de poésie, œuvre d’art. Comme dit le critique littéraire Philippe Lejeune "le paradoxe de l'autobiographie littéraire, son essentiel double jeu, est de prétendre être à la fois un discours véridique et une œuvre d'art". (Moi aussi)  

            Ce travail de « reconstruction » est particulièrement sensible dans Les Contemplations :

  -         Le plan même de l’ouvrage est extrêmement réfléchi : il ne suit pas une chronologie simple, il procède plutôt de façon thématique. Le Livre I, souhaitant évoquer la jeunesse (Aurore) mélange la jeunesse de l’auteur, celle de ses filles, l’amour de Hugo pour les enfants (La vie aux champs). Le lien entre ces textes est plus thématique et philosophique que proprement autobiographique. Il s’agit de méditer sur les différents âges de la vie humaine.

  -         Les scènes racontées par les poèmes ont-elles toutes été vécues ? Rien n’est moins sûr. Si elles l’ont été, elles semblent en tous cas pour certaines d’entre elles fort idéalisées (par exemple l’idylle amoureuse de Elle était déchaussée a des allures de conte de fées : « Moi qui passais par là je crus voir une fée, … » ). Par ailleurs certaines d’entre elles ont sans doute été inventées de toutes pièces par Hugo pour tenir le programme de son titre (« Aurore ») et illustrer le thème de la jeunesse.

-         Les évocations de l’école (A propos d’Horace) et de la bataille romantique (Réponse à un acte d’accusation) contiennent certains développements idéologiques qui tendent à présenter le Hugo du début des années 1830 pour plus républicain, laïque et révolutionnaire qu’il ne l’était probablement à cette époque-là. « A propos d’Horace », par exemple, ressemble plus au Hugo des années 50 violemment engagé contre la loi Falloux sur la « liberté de l’enseignement » qu’au Hugo de 1831. Ici, l’apposition de dates fictives peut cacher une tentative de l’auteur pour récrire à sa façon l’itinéraire politique qui a été le sien.

-         Enfin, l’utilisation quasi systématique de dates fictives visant à produire un effet d’écriture particulier, visant à imiter « l’écriture diariste » (l’écriture du journal intime), s’il n’est pas réductible à une volonté d’abuser le lecteur dénote malgré tout un projet esthétique particulier, une réorganisation systématique du matériau autobiographique, qui peut avoir pour conséquence d’en fausser l’authenticité.

   

En conclusion, une autobiographie est aussi et peut-être surtout une œuvre littéraire. En particulier dans le cas de Victor Hugo, on sent bien dès ce Livre I que l’aspect proprement biographique est subordonné à la dimension poétique, philosophique, voire politique de l’œuvre. Cette impression ne fera que s’accroître avec les livres suivants.

 

 

 

 

BILAN DE LECTURE DU  LIVRE IV
PAUCA MEAE

 

 

Le livre IV des Contemplations donne un nouvel exemple de la méthode utilisée par Victor Hugo pour organiser son recueil et reconstituer l’histoire de sa vie. 

Une démarche thématique :

Il procède par thèmes. Ainsi, le livre IV est centré sur la mort de Léopoldine. Son titre « Pauca meae » est une citation latine signifiant : « Quelques mots pour ma fille ».

 Une démarche logique :

Il place les poèmes dont il dispose dans un ordre déterminé, conçu pour suggérer au lecteur une chronologie et un enchaînement logique des sentiments. Ainsi :

  • V.H place d’abord une ligne en pointillés correspondant à la date de la mort de sa fille (4 septembre 1843). Cet artifice lui permet de mentionner dans le recueil l’événement tragique autour duquel basculent le livre et la destinée du poète, sans en parler. Il suggère par là une douleur trop vive pour pouvoir être dite.
  • Le poème suivant étant intitulé « Trois ans après » (poème III) et daté de Novembre 1846, nous comprenons que le poète est resté muet de douleur pendant les trois années qui suivirent. La plupart des poèmes que nous avons lus sont datés de ces années 1846-1847 où l’auteur peut enfin raconter ce qu’il a vécu. Le poème III exprime le désespoir, l’impossibilité de continuer son œuvre, de continuer à vivre, la révolte contre le destin et même contre Dieu. Il résume l’état d’esprit qui a prévalu pendant ces années de deuil (cf. la Préface : « le livre d’un mort »).
  • Le poème IV revient sur « le premier moment », il décrit le poète, fou de douleur, refusant de voir la réalité.
  • Les poèmes V et XII évoquent la tournure prise par les pensées du poète pendant la période qui suivit : tantôt, il revoit les années heureuses où Léopoldine était vivante, tantôt il songe avec angoisse à  ce que les hommes deviennent après la mort.
  • « Demain dès l’aube » (poème XIV), daté du 3 septembre 1847, 4° anniversaire de la mort de Léopoldine, montre le poète se rendant sur la tombe de sa fille, replié sur lui-même, semblable à un mort.
  • « A Villequier », daté du jour suivant, introduit une évolution : le poète ne se révolte plus contre le destin, il accepte la volonté divine, il se résigne à la perte de sa fille, il continuera à vivre. C’est la fin du deuil.

 On a donc en gros la progression logique : refus et désespoir > nostalgie et méditation > acceptation et retour de l’espoir.

 
La pratique des dates fictives
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Cette progression est logique : de la révolte à la résignation, du désir d’être mort au retour à la vie. Mais cette progression logique ne correspond pas forcément à l’ordre dans lequel les poèmes ont été écrits. Hugo classe donc ses poèmes non dans l’ordre chronologique de leur rédaction mais plutôt dans l’ordre chronologique de ses sentiments. En outre, il n’hésite pas à apposer au bas des poèmes une date fictive de rédaction, afin de renforcer cette logique aux yeux du lecteur. Il place « A Villequier » en fin de livre et en recule la date de rédaction alors que ce poème a été écrit avant tous les autres : la résignation ne doit pas apparaître comme la première réaction du poète à la mort de sa fille, elle doit apparaître comme le point d’aboutissement d’une longue évolution. Hugo date symboliquement plusieurs textes des jours anniversaires de la mort de sa fille, sans respecter leur date réelle de rédaction : il manifeste par là avec une certaine solennité sa fidélité à la disparue. Il postdate le poème XII (écrit avant la mort de la jeune femme) et il le place dans le cycle de Léopoldine parce qu’il s’insère bien dans la thématique du livre.

 
La reconstruction du passé selon une idée
 :

Cette réorganisation du matériau autobiographique peut paraître artificielle, mais n’oublions pas qu’une autobiographie est toujours plus ou moins une reconstruction du passé, qui vise le plus souvent à y déceler un sens, à forger une image déterminée de son auteur. Dans ce livre IV des Contemplations  Victor Hugo construit l’image du père inconsolable, que la mort de sa fille a définitivement changé en un « contemplateur », c’est à dire en un penseur exclusivement préoccupé par la réflexion sur Dieu, la mort, la destinée des hommes, les grandes questions métaphysiques. Est-ce une image de soi absolument objective ? Peut-être pas. Mais c’est l’idée que Victor Hugo veut que nous retirions de l’histoire de sa vie.

 

Annexe :

 

HUGO / LES CONTEMPLATIONS / CHRONOLOGIE FICTIVE ET DATES REELLES

Les indications sur les dates réelles viennent de l’édition Léon Cellier (Classiques Garnier 1969)

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TOME II – AUJOURD’HUI (1843-1855) / LIVRE  QUATRIEME. PAUCA MEAE.

 

 

Poèmes lus ou étudiés

 

 

Dates indiquées

 

Dates du manuscrit

III. Trois ans après

Novembre 1846

10 novembre 1846

IV. (Oh ! je fus comme fou…)

Jersey, Marrine-Terrace, 4 septembre 1852

Non-daté (sans doute novembre 1846 d’après Léon Cellier)

V.  (Elle avait pris ce pli …)

Novembre 1846, jour des morts.

1er novembre 1846. Toussaint.

XII. A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt

Octobre 1853

11 octobre 1841

XIV. (Demain, dès l’aube, …)

3 septembre 1847

4 octobre 1847

XV. A Villequier

Villequier, 4 septembre 1847

24 octobre 1846

 

 

 

 

 

 

RESUME DU LIVRE IV DES CONTEMPLATIONS

 

     Le livre IV des Contemplations, Pauca meae, expose les sentiments éprouvés par Victor Hugo après la mort de sa fille Léopoldine. Les textes sont regroupés par thèmes et selon une progression logique : d’abord le désespoir, puis la nostalgie, la méditation sur la mort, enfin l’acceptation et l’espoir d’une vie après la mort.

 

     Le poème III, Trois ans après, est le poème du désespoir et de la révolte contre Dieu. Il se présente comme une réplique de l’auteur à ceux qui tentent de le consoler. A ceux qui lui disent que la vie continue, qu’il doit continuer son œuvre, Hugo répond que sa vie est finie : « Je regarde ma destinée / Et je vois bien que j’ai fini ». Il accuse le « Dieu jaloux » qui lui a ravi sa fille.

     Le poème IV représente l’épreuve de la folie : « Oh ! je fus comme fou dans le premier moment ». Hugo évoque rétrospectivement l’état de folie hallucinatoire où la douleur l’a d’abord conduit ; il s’obstine à nier l’évidence, croit entendre sa fille, la voir.

     Les poèmes suivants expriment la nostalgie du bonheur perdu : Hugo se souvient de Léopoldine, enfant ; il évoque les sentiments tendres qu’ils avaient l’un pour l’autre. Le poème V raconte les visites matinales de la petite fille : « Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin / De venir dans ma chambre un peu chaque matin » ; les « soirs d’hiver radieux et charmants, / Passés à raisonner langue, histoire et grammaire ». Le poème VI raconte les promenades : « Comme nous courions dans la plaine ! / Comme nous courions dans les bois ! ». Dans le VII Hugo se rappelle comment Léopoldine lisait la Bible à sa cadette pour lui apprendre à lire.

      Les pièces X-XI-XII montrent toutes le poète méditant sur la mort et surtout sur ce qui se passe après la mort. Le poème XI : On vit, on parle, on a le ciel et les nuages… constate avec philosophie que toujours la vie mène à la mort. Le poème XII : A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt s’interroge sur ce que deviennent les morts : les morts sont-ils heureux ? Faut-il les envier ? (thèse d’Hermann : « Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! J’envie / Leur fosse où l’herbe pousse, où s’effeuillent les bois. »). Ou au contraire, faut-il les plaindre et les regretter ? (thèse du narrateur). Hugo rejette ici sans doute la tentation très romantique d’un spiritualisme exalté qui ferait désirer la mort, puisque celle-ci ouvre la porte de l’éternité. Il y voit une consolation trop commode. La mort reste pour lui le « noir mystère ». La foi ne supprime pas l’angoisse de la mort, le doute. Cependant, le poème se termine sur la conviction que les morts « entendent nos voix ». Dans le poème commençant par Pendant que le marin, qui calcule et qui doute (X), le poète scrute le ciel nocturne, cherchant en vain à y déceler « les robes bleues / Des anges frissonnants qui glissent dans l’azur ». A travers tous ces textes, il se demande sans la nommer où est Léopoldine, il voudrait savoir si elle est au ciel, si elle est heureuse, si une communication est encore possible entre elle et lui.

     Le célèbre Demain, dès l’aube, … (XIV) daté du 4° anniversaire de la mort de Léopoldine (3 septembre 1847) décrit un homme encore tenté de s’enterrer vivant : le poète est coupé du monde, sans intérêt pour le paysage qui l’entoure, la pensée entièrement occupée par sa fille qu’il va rejoindre : « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, / Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit ».

     A Villequier (XV), qui est pourtant daté du lendemain (4 septembre 1847) marque symboliquement la fin du deuil : « Maintenant que du deuil qui me fait l’âme obscure / Je sors, pâle et vainqueur… ». Le poète redevient sensible au monde extérieur : « Et que je sens la paix de la grande nature / Qui m’entre dans le cœur …» C’est le poème de la résignation : Hugo se résout à accepter la mort de sa fille, il se plie à la volonté de Dieu : « Puisque ces choses sont , c’est qu’il faut qu’elles soient ; / J’en conviens, j’en conviens ». Il se console par l’espoir de la vie éternelle : « Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme / ouvre le firmament ; / Et que ce qu’ici bas nous prenons pour le terme / Est le commencement ». Voilà Hugo parvenu bien près de la philosophie d’Hermann qu’il refusait quelques pages auparavant ! Le poème suivant, Mors (XVI) confirme cette foi retrouvée dans un au-delà : « Derrière elle (la Mort), le front baigné de douces flammes, / Un ange souriant portait la gerbe d’âmes ».

 

    La mort de Léopoldine a donc correspondu pour Victor Hugo à une grave crise spirituelle. Le livre IV est le récit de cette crise : quatre années durant lesquelles le poète se décrit oscillant entre la révolte contre la Providence, la nostalgie et le doute. Puis vient la résignation et le retour à la foi.