Lecture analytique d’Eclaircie

 

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Introduction : L’exil de Hugo dans les îles anglo-normandes, l’importance de l’océan dans les œuvres écrites par Hugo dans ces années d’exil, comme Les Contemplations (1856). Mais le plus souvent chez Hugo une lecture symbolique des éléments naturels.

 

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1)      Une vision du monde animiste ou panthéiste :

 

Idée directrice de l’axe : A la faveur de l’éclaircie, la nature se révèle au poète comme un être animé de vie. Les choses ont une âme. C’est la personnification qui sert à exprimer cette idée.

 

La personnification, figure de style omniprésente, au service d’une transfiguration symbolique d’un paysage maritime.

L’inanimé prend vie de deux façons différentes :

 

a)  la matière prend vie :

 les éléments de la nature sont personnifiés par l’articulation des termes qui les désignent avec des mots (verbes ou autres) désignant généralement des êtres humains (ou en tous cas des êtres animés).

 

 

NATURE

VOCABULAIRE
ANTHROPOMORPHIQUE OU ANIMISTE

L’onde

Combat

Exténuée

S’assoupit

L’écueil

Se reposer

rive

baiser

Le brin d’herbe

palpite

La terre

Eveillée

entend

Le vent

Premier pas du -

Le flot

sourit

L’aurore

 

Cheval blanc

L’air

L’écume

joue

Le jour

Va chercher l’ombre

La baise au front

L’ombre

front

L’eau

hagarde

 

 

 

b)      L’abstraction prend vie : elle s’incarne dans un élément de la nature, est doté d’une force matérielle ou d’un attribut humain (forme d’allégorie) :

 

ABSTRACTIONS

VOCABULAIRE

ANTHROPOMORPHIQUE OU ANIMISTE

La vie

Dissout le mal

Le mort

dit

Une âme obscure

Avance doucement sa bouche vers nos lèvres

L’être

Fièvres

Flancs

Seins

Yeux

Cœurs

pores

La grande paix d’en haut

Vient comme une marée

L’âme

A chaud

L’infini

Semble plein d’un frisson de feuillée

Du travail , de l’amour

Premier pas

 

 

Conclusion de l’axe : Conception animiste ou panthéiste clairement formulée au vers 8 : « une âme obscure épanouie en tout »

 

 

 

2)      Paix et amour :

 

Idée directrice de l’axe : Le poète lit dans le paysage un message de paix (sérénité, réconciliation, harmonie de la création) et d’amour.

 

Divers champs lexicaux développent le thème de l’apaisement et de l’harmonie universelle :

 

a)      le thème de la paix

 

  • Champ lexical du repos, de la paix : l’idée de paix se dégage du spectacle de la mer calmée : s’assoupit, se reposer, la grande paix d’en haut, tout est doux, calme, heureux, apaisé.
  • L‘idée de paix et d’harmonie ressort aussi des tableaux idéalisés de la vie campagnarde que l’on trouve à la fin du poème : « le grave laboureur fait ses sillons et règle / La page où s’écrira le poème des blés / Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés »

·        Plusieurs vers clés utilisent la régularité des coupes et de la distribution des accents rythmiques pour transmettre un sentiment de calme et d’harmonie :

Exemples :

Le vers1 : L’océan / resplendit // sous sa vas / te nuée (accents sur 3/6//9/12)

Particulièrement dans les vers sans ponctuation, essentiellement composés de termes monosyllabiques, où le rythme 6/6 n’est rompu par aucun accent secondaire :

V4, 14, 17, 22.

  • Thème de la réconciliation des contraires / Champs lexicaux en opposition de la vie et de la mort  : la vie dissout le mal, le deuil / Le mort couché dit au vivant debout : aime ! / un rayon unit le berceau au tombeau / le jour plonge dans le noir du gouffre et va chercher l’ombre
  • Idée voisine de l’unité de la création : Le moineau joue avec le flot monstrueux / l’écume avec l’aigle / l’air avec la mouche / l’océan-hydre avec le nuage-oiseau = entente harmonieuse du faible et du fort. Dans les vers 29-31 l’analogie généralisée (mer=écaille, nuage=plume, océan = hydre, nuage = oiseau) figure une mystérieuse unité cosmique.

 

b)      Le thème de l’amour

 

  • Champ lexical de l’amour, de la sensualité, de la fécondité : baiser, bouche, lèvres, extase, la pénétration de la sève sacrée, le nid est couvé, l’amour, la baise au front
  • Des jeux de sonorités cherchent à provoquer des impressions sensuelles en correspondance avec cette thématique de l’amour : la douceur des 3 « f » d’ « infini-frisson-feuillées » (allitération) ; la diérèse de « La pénétration de la sève sacrée» a aussi quelque chose d’imitatif (cf. Rimbaud : « La circulation des sèves inouïes»)

 

c)      Une extension universelle

 

La dimension exceptionnelle de l’événement est confirmée par la réitération du mot « tout », « toute la rive », « en tous lieux », « épanouie en tout » ; « de toutes parts », « tout est doux… » ; les images spatiales d’immensité : « vaste nuée», « immense baiser », « infini », « la grande paix d’en haut » ; « horizon » = l’accalmie est universelle.

 

Conclusion de l’axe : Un paysage qui prend pour l’observateur une signification morale et métaphysique : symbole de l’unité de la création et de la possibilité d’une conciliation harmonieuse des contraires, d’une victoire du bien ( « la paix, l’amour, la vie ») sur le mal, représenté dans le poème par la présence d’une série lexicale négative : « nuit, hiver, mort, mal, lutte, envie ».

 

 

 

3)      Une révélation divine, une « épiphanie » :

 

Idée directrice de l’axe : Le texte célèbre un moment privilégié d’illumination et d’ouverture, occasion d’une révélation intense mais fugitive : une « épiphanie ».

 

Définition du mot « épiphanie » :
Nous l’empruntons au Dictionnaire portatif du bachelier (Profil Hatier, 1999)

 

EPIPHANIE. n.f. (du grec epi-, « sur » et phaneia, « qui apparaît »).

Sens religieux : dans l’Evangile, première manifestation de Jésus-Christ comme fils de Dieu, aux yeux des rois mages venus l’adorer à Bethléem. Jour commémorant cet événement, qu’on appelle aussi Fête des Rois (début janvier).

Sens figuré, en littérature : moment d’intense révélation qui illumine, de façon souvent imprévue, le poète ou le romancier. Pour Joyce, ces moments privilégiés doivent nourrir l’inspiration de l’écrivain.

 

 

Ici, la révélation divine prend la forme imagée d’une impression de lumière, d’une illumination progressive du paysage ; illumination dotée d’un double sens réaliste et surnaturel :

 

  • L’idée du titre est déjà une idée de lumière (le motif de l’éclaircie), immédiatement illustrée par le vers 1 : l’Océan s’éclaire, « resplendit ». La « vaste nuée »(v.1) est toujours là mais elle ne peut empêcher la lumière de rayonner.

 

  • Puis, dans les vers 18-22, l’idée de lumière se développe à travers diverses analogies : comparaisons avec le lever du jour et avec l’ouverture d’une porte.

 

>>> La comparaison entre l’éclaircie et le lever du jour : « on croit être à cette heure où la terre éveillée » / la métaphore du « blanc cheval aurore » .

 

>>> La métaphore (filée) d’une porte qui s’ouvre : « le bruit que fait l’ouverture du jour (synestésie auditive-visuelle), / le premier pas du vent, du travail, de l’amour, de l’homme /  et le verrou de la porte sonore (idée de l’épiphanie, quelque chose s’ouvre, se révèle) ». Idée d’une découverte émerveillée = accès à l’inconnu, à une réalité mystérieuse.

 

  • Enfin, la dernière partie du poème est marquée par une multiplication d’images de lumière, de plus en plus chargées de connotations symboliques :

-         v.29 : « l’horizon semble un rêve éblouissant » (On voit tout ce qu’ajoute le mot « rêve »,  qui suggère d’accorder une valeur symbolique, paradisiaque, à cet horizon de lumière »)

-         v.32-35 : une « lueur, rayon vague, part du berceau ». Il est possible à la rigueur de voir dans ce détail la description réaliste d’un reflet de soleil, mais c’est surtout –à l’évidence- d’un rayon symbolique qu’il s’agit. C’est une nouvelle «analogie » : après l’aube (le début du jour), la naissance (le début de la vie). C’est le symbole de la Création, symbole qui s’étend victorieusement sur tout le paysage : « Dore les champs, les fleurs, l’onde » et qui semble ressusciter les morts : « et devient lumière / En touchant un tombeau qui dort près du clocher ».

-    v.36-37 : Ces derniers vers confirment la signification symbolique à donner à la lumière en la personnifiant (« le jour plonge … et va chercher … et la baise ») et en développant le thème mystique de la réconciliation entre le Bien (le jour) et le Mal (le gouffre, l’ombre, l’eau sombre).

 

·        Le sens symbolique de cette illumination est développé par la présence dans le poème d’un vocabulaire religieux, notamment dans le dernier vers :

 

>>> Une révélation mystique : la nature n’est pas seulement vivante, elle est divine : « sève sacrée » ; « la grande paix d’en haut » ; « Dieu regarde » (présence d’un vocabulaire religieux). L’éclaircie révèle la présence divine gage de la paix universelle, de la victoire finale des forces du bien sur celles du mal.

 

·        Mais comme l’éclaircie, ce moment d’illumination est fugitif : c’est une accalmie précaire, un moment de grâce :

L’éclaircie est une sorte de miracle (« on dirait qu’en tous lieux, en même temps… ») L’antithèse « combat sans fin / exténuée, s’assoupit » rappelle ce que cette accalmie a d’exceptionnel. Hugo souligne à plusieurs reprises la nature habituellement violente de l’océan (flot monstrueux, océan hydre) qui indique suffisamment que le caractère provisoire et fragile de ce moment de grâce.

 

Conclusion de l’axe : On retrouve bien dans le poème les caractéristiques de ce qu’on appelle une « épiphanie » : c’est à dire l’idée d’un bref moment d’émerveillement qui prend pour le poète le sens d’une révélation surnaturelle.

 

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Conclusion :

 

·        Peu d’éléments descriptifs pour évoquer ce paysage, un développement essentiellement symbolique.

·        La lumière perçant les nuées annonce symboliquement la possibilité de la victoire de la paix et de l’amour sur la violence habituelle des éléments et des hommes, elle est l’indice de la présence divine dans la nature.

·        Un moment d’émerveillement et de révélation : une épiphanie.