AUBE / QUESTIONS DE LECTURE ANALYTIQUE

 

 

1) Ce poème décrit l'aube : étudiez dans le texte le système d'oppositions qui développe le contraste entre la nuit et le jour.

        Le poème s'intitule "Aube". Il décrit le point du jour, c'est à dire le moment du basculement entre la nuit et le jour. D'où la présence de champs lexicaux en opposition de l'ombre et de la lumière, de la mort et de la vie, de l'immobilité et du mouvement. 

2) Etudiez ce qui, dans cette description, échappe au réalisme et évoque l'univers des contes

        La description du lever du jour ne se fait pas ici de façon réaliste. 

 

           Cette ubiquité rappelle l'univers des rêves ou le merveilleux des contes de fées et encourage le lecteur à rechercher des interprétations symboliques. 



3) En vous fondant sur la typographie, les articulations temporelles, les phrases d'ouverture et de fermeture, analysez la structure de ce poème en prose : que raconte-t-il selon vous?

     Le texte se présente divisé en sept paragraphes séparés par un saut de ligne. Le premier et le dernier se réduisent à une courte phrase (de huit syllabes chacune). La phrase d'ouverture résume l'action principale en la présentant au passé composé comme un passé révolu : "J'ai embrassé l'aube d'été". La phrase de clôture contient la situation finale : le réveil de l'enfant, plusieurs heures après le dénouement de sa course-poursuite avec la déesse de l'Aube. Le découpage en paragraphes correspond à la progression temporelle d'un récit, comme le montre la présence de diverses articulations temporelles : "encore"; "la première entreprise"; "déjà"; "alors"; "midi". Chaque paragraphe intermédiaire correspond à une étape dans l'histoire racontée par le poème. 

    Le fil directeur de cette histoire, c'est l'extension progressive de la lumière, au petit matin. En effet, malgré le caractère très métaphorique et un peu mystérieux de ce texte, on peut déceler un substrat réaliste assez précis, dont le sens littéral ne fait pas de doute. Le narrateur raconte comment il s'est promené à l'aube, un jour d'été ("J'ai marché..."). Dans la strophe 2, la nuit domine encore (elle résiste, comme le montre la métaphore militaire : "Les camps d'ombre ne quittaient pas la route des bois"); mais la nature commence à se réveiller sous les pas du promeneur ("réveillant les haleines vives et tièdes"). A la strophe 3, comme apparaissent faiblement les premières lueurs du jour (cf l'oxymore "blêmes éclats"), le narrateur entre en communication avec une fleur ("une fleur qui me dit son nom") : la nature qui s'éveille se met à parler à celui qui sait la comprendre. Les oiseaux s'éveillent à leur tour (cf. le bel effet visuel et dynamique produit par la synecdoque "et les ailes se levèrent sans bruit"). Strophe 4, la lumière de l'aube atteint les parties hautes du paysage qui s'argentent ou blondissent sous l'effet des rayons du soleil : le sommet de la cascade ("le wasserfall blond"), la "cime argentée" des arbres. Métaphoriquement, c'est l'apparition de la déesse ("je reconnus la déesse"). Strophe 5, la lumière s'étale progressivement sur la plaine et sur les toits de la ville ("elle fuyait parmi les clochers et les dômes"), le coq chante ("je l'ai dénoncée au coq") : métaphoriquement, c'est la course-poursuite avec la déesse. La strophe 6 apporte le dénouement, l'enfant rattrape enfin l'aube qui fuit "en haut de la route, prés d'un bois de lauriers" et il tente de la prendre dans ses bras. Mais ce moment de l'étreinte est un peu comme un évanouissement : c'est la chute "au bas du bois". Le texte, significativement change à ce moment de système d'énonciation : le narrateur nous est maintenant désigné à la 3° personne et identifié comme "l'enfant". Un nouveau narrateur a pris le relais du récit pour nous raconter la chute et la perte de conscience du premier. La phrase de clôture du texte nous permet d'interpréter cette disparition comme la perte de conscience qui accompagne le sommeil : "Au réveil, il était midi".

    Le contraste entre la phrase d'ouverture et la phrase de clôture nous suggère le sens à donner au récit. La phrase d'ouverture sonne comme un cri de victoire : l'enfant (puisque c'est d'un enfant qu'il s'agit) est parvenu à saisir l'insaisissable, le moment fugitif où la nuit cède la place au jour. La fin du poème, par contre, avoue que l'objet du désir s'est dérobé au moment même où on croyait le posséder : l'adverbe "un peu" ("j'ai senti un peu son immense corps") suggère que l'enfant étreint du vide, ou du moins que ses bras se referment sur une forme évanescente et quasi impalpable. La chute qui s'ensuit prend la signification d'une brutale interruption et d'un échec. 

   Dans son sens littéral, le poème décrit donc un jeu d'enfant : se promenant au lever du soleil dans la campagne, un enfant joue à poursuivre les mouvements de la lumière. Il s'imagine capable de commander à la nature, et se comporte comme s'il était lui-même l'ordonnateur, le chef d'orchestre, de ce fabuleux spectacle de l'Aube. Le caractère irrationnel de ce jeu peut conduire à interpréter ce poème comme le récit d'un rêve nocturne; mais ce n'est pas du tout nécessaire : les enfants, les poètes, et Rimbaud plus que tout autre, sont habitués à donner un tour irrationnel à leurs rêveries de façon tout à fait consciente et délibérée, pour le plaisir du jeu et de l'imagination ("Il faut se faire voyant" écrit Rimbaud dans une célèbre lettre). On peut aussi chercher dans ce poème une signification symbolique cachée. La représentation de l'aube sous une forme féminine, associée à un champ lexical de l'amour peut éventuellement faire penser à un rêve érotique s'achevant dans la frustration au moment de l'étreinte. Mais il faut surtout voir dans "la déesse" une image idéalisée de la Poésie ou de la Beauté, dans l'enfant une représentation du poète, et dans les pouvoirs magiques que le texte lui prête la capacité de l'artiste à établir une connivence avec la nature, à parvenir à l'inconnu, à se faire voyant. Le poème peut donc s'interpréter comme une variation autour du thème de l'Idéal impossible à atteindre, de l'Idéal qui échappe au moment où l'on croit l'avoir atteint. La quête poétique, dans ce qu'elle a de plus ambitieux : la Recherche de l'Absolu, est d'avance condamnée à l'échec.

 

4) Etudier les pronoms personnels et l'énonciation :

 

             Le Je du narrateur est constamment représenté tout au long du texte. A partir de la ligne 9, un autre "personnage" apparaît, la déesse (repris par "elle" (ligne 11), la, l'). L'identité de l'un et de l'autre ne s'éclaire qu'à la ligne 15 : "l'aube et l'enfant". Mais curieusement, ce moment de l'identification correspond avec un changement du système d'énonciation. Le récit à la première personne devient récit à la troisième personne. Le narrateur fictif cache un narrateur réel qui prend ses distances avec l'expérience qui vient d'être contée. C'est comme si ce narrateur réel, dégrisé, racontant aprés coup sa propre aventure, ne pouvait plus s'identifier complètement à cet enfant naïf et exalté qui avait cru en rêve embrasser la nature entière, parvenir à l'inconnu, se faire voyant. Rimbaud nous a habitués (dans "Alchimie du Verbe", comme dans "Bateau Ivre") à ce dédoublement du poète entre deux " Je". Celui qui vit à corps perdu l'aventure poétique et celui qui observe, raconte, tire les bilans. Ainsi, on peut classer ce poème en prose extrait d'Illuminations parmi ces textes nombreux de Rimbaud qui développent l'allégorie de l'aventure poétique et de sa retombée après un éphémère succès. 

 

PLAN DE COMMENTAIRE COMPOSE

 

Introduction

1) Une évocation féerique de l'aube

a) Le contraste ombre/lumière; vie/mort; mouvement immobilité

b) Le registre merveilleux

2) Un récit structuré comme un conte

a) Les indices typographiques et chronologiques d'un récit en plusieurs étapes.

b) La progression du récit : la progression de la lumière (et les figures de style qui assurent la transfiguration poétique de ce processus naturel).

c) Le changement du système d'énonciation et le sens qu'il permet de donner au dénouement du récit.

d) Signification symbolique de l'histoire?

Conclusion.

 

CONCLUSION REDIGEE

 

Récapituler     Rappelons pour conclure l'essentiel de ce que nous avons démontré. Cette évocation de l'aube est une sorte de conte. La description mêle étroitement des allusions réalistes (la description des différentes étapes d'un lever de soleil) et des ingrédients fantastiques rappelant l'univers des contes de fées. Le texte se prête à divers niveaux d'interprétation. Au niveau le plus simple, on peut y voir un simple jeu d'enfant : le narrateur se lance à la poursuite de la lumière qui gagne progressivement le paysage, et son imagination fertile lui persuade qu'il est lui-même le grand ordonnateur du spectacle de l'aube. A un niveau plus symbolique, on peut lire le récit de cette quête fantastique comme une allégorie de l'aventure poétique.    
Elargir le propos     Ce poème en prose de Rimbaud entre dans la catégories de ces textes où s'expriment le ravissement, l'émerveillement du poète devant un spectacle de la vie ou de la nature. L'exaltation poétique s'y libère dans le jaillissement des images. L'appel au surnaturel permet d'embellir la réalité quotidienne. Alors que la poésie lyrique exprime si souvent des sentiments mélancoliques, il s'agit ici d'un lyrisme heureux, célébrant l'homme et la création, un lyrisme de l'enthousiasme et de la joie de vivre, que tempère malgré tout le plus souvent -comme dans Aube- le sentiment d'un impossible achèvement.