RENE CHAR : TROIS POEMES (ET UN APHORISME)

 

 

Mais qui rétablira autour de nous cette immensité, cette densité réellement faites pour nous, et qui, de toutes parts, non divinement, nous baignaient ?

 

               René CHAR

 A une sérénité crispée (1952)

 

 

 

Les trois poèmes qui suivent relatent des souvenirs d’enfance de l’auteur. René Char (1907-1988) est né et a grandi à L’Isle sur Sorgue. « Le Thor » est un village voisin. Il est surmonté d’une belle église romane. Le Mont Ventoux domine cette région de Provence. La Sorgue est une rivière qui naît à Fontaine de Vaucluse, tout prés de la ville natale du poète. Les géographes appellent « sources vauclusiennes » celles qui sont comme Fontaine, la résurgence d’un cours d’eau souterrain. « Les premiers instants »  se rapportent à cette source. La Sorgue alimentait des moulins, comme celui dont il est question dans « Déclarer son nom ». René Char affectionne les formes brèves : courts poèmes, aphorismes. 

 

 

 

LE THOR

 

Dans le sentier aux herbes engourdies où nous nous étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer, les guêpes n’allaient plus aux ronces et les oiseaux aux branches. L'air ouvrait aux hôtes de la matinée sa turbulente immensité. Ce n'étaient que filaments d'ailes, tentation de crier, voltige entre lumière et transparence. Le Thor s'exaltait sur la lyre de ses pierres. Le mont Ventoux, miroir des aigles, était en vue. Dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d'un âge perdu souriait à nos jeunes larmes.

 

LES LOYAUX ADVERSAIRES (1945),

 in FUREUR ET MYSTÈRE.

LES PREMIERS INSTANTS

 

Nous regardions couler devant nous l'eau grandissante. Elle effaçait d'un coup la montagne, se chassant de ses flancs maternels. Ce n'était pas un torrent qui s'offrait à son destin mais une bête ineffable dont nous devenions la parole et la substance. Elle nous tenait amoureux sur l'arc tout-puissant de son imagination. Quelle intervention eût pu nous contraindre? La modicité quotidienne avait fui, le sang jeté était rendu à sa chaleur. Adoptés par l'ouvert, poncés jusqu'à l'invisible, nous étions une victoire qui ne prendrait jamais fin.

 

 

LA FONTAINE NARRAT1VE (1947),

 in FUREUR ET MYSTERE.

 

 

 

 

 

 

 

DÉCLARER SON NOM

 

J'avais dix ans. La Sorgue m'enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le sage cadran des eaux. L'insouciance et la douleur avaient scellé le coq de fer sur le toit des maisons et se supportaient ensemble. Mais quelle roue dans le coeur de l'enfant aux aguets tournait plus fort, tournait plus vite que celle du moulin dans son incendie blanc ?

 

 

AU-DESSUS DU VENT (1959),

 in LA PAROLE EN ARCHIPEL.