LECTURE DU MARIAGE DE FIGARO

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BEAUMARCHAIS SCENOGRAPHE

 

 

QUESTIONS CORRIGEES

 

A - ETUDE DES DIDASCALIES INITIALES


Quel est le lieu indiqué par la didascalie initiale du deuxième acte ? Montrez l’intérêt du lieu choisi pour créer l’atmosphère propre à cet acte, souligner les relations entre les personnages et faciliter le déroulement de l’intrigue. Comment exploiteriez-vous ce lieu si vous étiez metteur en scène ?

Lieu indiqué par la didascalie : chambre de la comtesse, lit en alcôve,  surélevé (estrade),  quatre ouvertures : porte principale, porte des femmes, porte du cabinet, fenêtre.

Atmosphère et relations entre les personnages : le 2° acte est celui où se noue l’intrigue amoureuse entre Chérubin et la comtesse ; il est celui aussi de la conspiration à 5 contre le comte. Le lieu convient à cette atmosphère : lieu privé, clos, intime, propice au développement d’une intrigue amoureuse « illégitime » (tous les autres actes de la pièce ont pour décor des lieux publics : parc, salles communes ou inhabitées). Les portes protègent (mal) des indiscrétions et des intrusions du comte (voir le jeu sur les portes fermées à clé que celui-ci s’acharne à vouloir franchir). C’est aussi un lieu féminin (chambre de la comtesse, porte des femmes), propice à l’expression de la connivence entre Suzanne et Rosine.

Déroulement de l’intrigue : la disposition du lieu a été prévue pour permettre une multiplication des cachettes, autorisant les chassés-croisés entre les personnages : l’expression « troisième lieu » paraît même ici insuffisante pour rendre compte de la complexité de la situation (terme italien appartenant à la tradition théâtrale : imbroglio = embrouille, enchevêtrement).

Exploitation à la scène : accentuer le côté féminin du lieu par le choix du mobilier (raffinement, douceur des étoffes et des coloris) ; accessoires féminins : vêtements, accessoires de toilette et de beauté , miroir coiffeuse… ; intimité : un certain désordre est possible : coussins, vêtements abandonnés sur les sièges ; évocation de l’amour ( tableaux, statues ?).

 


Le troisième acte est celui du procès : quel est le lieu indiqué par la didascalie initiale ? Montrez l’intérêt du lieu choisi pour souligner la critique sociale dont l’acte III est porteur. Comment exploiteriez vous ce lieu si vous étiez metteur en scène ?

La didascalie initiale de l’acte III du Mariage de Figaro donne comme lieu de l’action une salle appelée « salle du trône » utilisée comme salle d’audience, c’est à dire transformée pour l’occasion en tribunal. Elle précise qu’un portrait du roi orne l’un des murs de la salle (« sur le côté »), ce tableau étant surmonté d’un « dais », c’est à dire d’un ouvrage de tapisserie soutenu par des colonnes, comme on en trouvait autrefois au-dessus des lits (ciels de lits, baldaquins), des autels, ou d’un trône. La présence d’une salle du trône au château d’Aguas Frescas s’explique par la fonction officielle du Comte Almaviva, « grand corregidor d’Andalousie » d’après la liste des personnages, c’est à dire gouverneur de la province. Il est du devoir de sa charge d’accueillir le roi, lorsque celui-ci se déplace dans son royaume, d’où la nécessaire présence dans sa demeure d’une salle d’honneur adaptée à la réception du souverain.

Cet espace dramatique a été conçu par Beaumarchais pour symboliser la structure sociale pyramidale de la société monarchique. L’intention apparaît clairement lorsqu’on rapproche la didascalie initiale des autres informations fournies par le texte (didascalie finale de l’Acte II, réplique de Figaro scène 7, didascalie initiale de la scène 15). On y apprend que « le Comte s’assied sur un grand fauteuil », placé « sur une estrade à deux marches », ce qui a pour effet de surélever considérablement le seigneur par rapport à Brid’oison et aux autres juges, qui sont assis sur de « bonnes chaises ». Mais le greffier n’a droit qu’à un tabouret, les avocats à des bancs, « le plancher pour le beau monde, et la canaille derrière » ajoute Figaro. L’étagement des sièges offre donc une image extrêmement hiérarchisée et satirique de l’inégalité des conditions sociales sous l’Ancien Régime. L’effet satirique est double : d’une part, ce dispositif scénique prépare le spectateur à recevoir la critique adressée par Beaumarchais à la justice de son temps, où le seigneur domine le juge et rend la justice de façon arbitraire, c’est à dire selon son bon plaisir ; d’autre part, la bouffonnerie du procès entre en contraste avec le cadre solennel de la salle du trône et tend à ridiculiser le système tout entier, jusqu’à la personne du roi, présent dans la salle à travers son portrait.

Le metteur en scène peut s’appuyer sur les indications des didascalies pour traduire visuellement cette satire sociale : par exemple en choisissant pour le Comte une estrade nettement surélevée et un fauteuil qui soit un véritable petit trône ; en faisant siéger le Comte sous un immense portrait du roi, et en soulignant par contraste son attitude indigne par des attitudes relâchées, une jambe passée sur le bras du fauteuil ; en choisissant pour Brid’oison une chaise ridiculement petite à côté du fauteuil du Comte, etc…  

 

La scène du tribunal : gravure de Liénard (1785)

 

B - LE PROCEDE "DU TROISIEME LIEU"

Décrivez avec la plus grande précision possible les étapes du jeu de scène (Acte I, scènes 7 à 9) où le rôle principal est tenu par le fauteuil. Commentez le traitement complexe de l’espace scénique dans ce gag à rebondissements.

 

Décrire :

 

1

Suzanne et Chérubin se poursuivent autour du fauteuil

Sc.7

2

Chérubin voyant le comte entrer se jette derrière le fauteuil ; Suzanne s’approche du fauteuil pour faire écran.

Sc.7-8

3

Le comte s’assied dans le fauteuil.

Sc.8

4

Le comte, entendant la voix de Basile, se dissimule à son tour derrière le fauteuil.

Sc.8

5

Suzanne faisant écran, Chérubin parvient à s’esquiver et à se blottir dans le fauteuil ; Suzanne le recouvre d’une robe qu’elle tenait dans les bras.

Sc.8

6

Le comte, furieux des propos de Basile, se lève de derrière le fauteuil.

Sc.9

7

Suzanne défaille : le comte et Basile lui proposent de s’asseoir dans le fauteuil. Elle refuse énergiquement.

Sc.9

8

Imitant le geste de soulever un rideau derrière lequel il avait trouvé la veille Chérubin, chez Fanchette, le comte soulève la robe et découvre … le même Chérubin.

Sc.9

 

Commenter :

  • Motif classique de la « cachette » dans les scènes de comédie. Au théâtre, une cachette est un lieu séparé de la scène, un « deuxième lieu » que la scène « à l’italienne » ne permet pas de représenter, qui se situe généralement en coulisses, et qu’il est demandé au spectateur d’imaginer (ainsi le cabinet à l’acte II). Mais ce peut être aussi un accessoire de théâtre (comme ici le fauteuil ou au 5° acte les pavillons) permettant d’escamoter un personnage; de le rendre invisible ou visible du seul spectateur.
  • Mais ici, Beaumarchais raffine sur le procédé en imaginant l’arrivée de Bazile, qui exige d’imaginer pour le comte un nouveau lieu de cachette : un « troisième lieu ». Ce troisième lieu est trouvé sur le fauteuil lui-même, grâce à un gag ingénieux alliant la vivacité (le déplacement de Chérubin), la loufoquerie (les deux rivaux placés dans des situations parallèles et également humiliantes) et l’efficacité dramatique (exacerbation de la tension due à la proximité des deux hommes et à la précarité de la cachette).
  • Ce travail dramatique sur le motif de la cachette se reproduit et va se complexifiant au cours de la pièce (le cabinet, la fenêtre et les diverses portes à l’acte II, les pavillons où s’engouffrent successivement tous les personnages à  l’acte V) : le critique Jacques Schérer parle d’un procédé du « troisième lieu ».

 

Comment est exploité le procédé dit du « troisième lieu » au cinquième acte du Mariage de Figaro ?

             Le « troisième lieu » est une expression du critique Jacques Schérer. Par cette formule, il désigne la façon dont Beaumarchais renouvelle le motif scénographique classique de la cachette. Les auteurs de comédie cachent souvent un personnage dans un lieu qui peut parfois être situé sur la scène mais qui est plus souvent virtuel et correspond alors aux coulisses du théâtre : une pièce attenante, un placard, etc.. Autrement dit l’auteur joue sur deux lieux, un lieu visible à tous qui est la scène, et un lieu caché. A plusieurs reprises au cours de la pièce, Beaumarchais complique le procédé en imaginant un « troisième lieu », c’est à dire un autre lieu de cachette, inattendu : au 1° acte, par exemple, le fauteuil où se cachent à la fois et sans se voir Chérubin et Almaviva ; à l’acte II : la fenêtre par laquelle saute Chérubin.

Au cinquième acte, ce sont les pavillons de jardin qui permettent de ménager un effet du même type. Pendant que Figaro et tous les serviteurs qu’il a amenés avec lui se cachent dans les coulisses, représentant ici virtuellement une forêt, pour observer toute la scène et démasquer le Comte, les autres personnages se dissimulent à tour de rôle dans les kiosques de verdure ou « temples de jardin » (dit la didascalie) qui ont pris place au beau milieu de l’espace scénique.

            Ce dispositif permet un gag à rebondissements, une série de méprises et de quiproquos dus d’abord à l’atmosphère nocturne et au déguisement de certains personnages, puis - à la fin de l’acte - amplifiés par la complexité du lieu. Lorsque le Comte, pensant surprendre sa femme en flagrant délit d’adultère, lui demande de sortir du pavillon où il la croit en compagnie de Figaro, il voit se présenter successivement Chérubin (ce qui le surprend mais confirme ses soupçons sur les rapports licencieux entre sa femme et le jeune page), puis Fanchette (ce qui contredit l’idée précédente), puis Marceline (dont la présence détruit l’idée d’un rendez-vous secret entre les deux adolescents) et enfin Suzanne sous le déguisement de la Comtesse, ce qui fait comprendre à Almaviva qu’il vient de lutiner sa propre femme sous l’apparence de Suzanne et qu’il est par conséquent «fait comme un rat ». Cet enchaînement de coups de théâtre a été obtenu grâce à une intrigue bien ficelée où l’exploitation du lieu scénique, le fameux procédé du « troisième lieu », a joué un rôle capital.  

 

Planche représentant l'organisation de l'espace scénique au cinquième acte dans une édition pirate du Mariage de Figaro publiée lors de la création. Cette illustration est empruntée à l'édition Folio Classique du Mariage (n°3249).

 

C - ETUDE DES OBJETS

 

Le ruban de la comtesse apparaît à la scène I,7 et reparaît à plusieurs reprises : II,6-7-8-9 ; II,25 ; IV,3-4 ; V,19. Retracez cet itinéraire et dégagez sa signification symbolique.

            A l’acte I, Chérubin dérobe à Suzanne le « ruban de nuit » de la Comtesse. Ce morceau d’étoffe qui entoure la nuit les cheveux de son idole prend pour lui la signification d’un objet intime, dont la possession le rapproche de l’être aimé.

            A l’acte II, la Comtesse découvre son ruban taché de sang au bras de Chérubin. Elle fait mine de gronder le page pour son larcin, et exprime son intention de le garder par devers elle, en alléguant les vertus médicinales prêtées par le jeune homme à l’objet convoité. Elle les testera, dit-elle, sur ses servantes. En réalité, elle accorde à ce ruban taché de sang, c’est à dire de ce qu’il y a de plus intime, une valeur sentimentale. Le ruban devient à l’acte II le symbole de l’attirance de la Comtesse pour Chérubin.

            Les apparitions suivantes du ruban confirment cette interprétation. A la fin de l’acte II, la Comtesse prend le ruban sur la bergère, le roule et le glisse contre son cœur en disant : « tu ne me quitteras plus ». A l’acte IV, en détachant sa lévite pour chercher une épingle, la comtesse laisse tomber le ruban qu’elle tient serré sur son cœur. Elle refuse de le confier à Suzanne pour qu’elle le nettoie en prétextant qu’elle l’offrira à Fanchette la prochaine fois que la jeune fille lui apportera un bouquet. Puis, quand Chérubin entre déguisé en fille, elle cache vite le ruban. Toutes ces péripéties soulignent le prix que la Comtesse accorde au ruban. Son mensonge à Suzanne la montre consciente du caractère coupable de cet attachement. Le ruban symbolise désormais la tentation de l’adultère.

            A l’acte V enfin, l’assistance réclame à Suzanne « la jarretière de la mariée ». Selon une tradition, l’épousée lance aux garçons de la noce cet objet très personnel, acceptant par là publiquement le sacrifice de sa virginité. La Comtesse s’empresse alors de jeter dans la mêlée, en guise de jarretière, son propre ruban taché de sang, et c’est Chérubin qui s’en empare. Cette nouvelle péripétie célèbre une noce symbolique entre la Comtesse et Chérubin. Elle fait naître le soupçon que l’idylle entre le jeune page et la Comtesse soit allée, ou puisse aller un jour, plus loin qu’on ne le croyait possible. De fait, La mère coupable apportera un éclairage nouveau sur les relations entre la Comtesse et le Chérubin.

 

 

Une épingle de la comtesse joue un rôle important au cours de l’Acte IV : retracez le parcours de cet objet et commentez les significations symboliques qu’on peut lui donner.

            L'épingle pourrait symboliser la défaite du Comte devant le complot des femmes.

            Au début de l'acte IV (scène 3), la Comtesse prête à Suzanne une épingle pour cacheter le billet où elle donne rendez-vous au comte. L'épingle porte en quelque sorte témoignage de la complicité des deux femmes (la substitution de l'une à l'autre imaginée pour piéger le Comte). Par ailleurs, elle est la réplique de l'autre "cachet", celui destiné par le comte à Chérubin pour l'éloigner (comme les femmes le soulignent dans le dialogue).

            A la fin de l'Acte IV (scène 9), lorsque Suzanne lui remet le billet pendant la cérémonie du mariage, le Comte se blesse avec l'épingle. Il jette l'épingle à terre dans un geste de rage, mais se voit contraint de la ramasser. D'après la lettre, en effet, l'épingle doit être renvoyée à Suzanne en signe d'assentiment. En piquant le Comte, l'épingle remplit déjà sa mission vengeresse. Et le Comte, en s'abaissant pour la ramasser sous l'œil goguenard de Figaro, est placé dans une situation quelque peu humiliante.

            Enfin, à l'acte IV (scène 14), Figaro intercepte Fanchette, chargée par Almaviva de ramener l'épingle à son expéditrice. Habilement interrogée, la jeune fille révèle naïvement à Figaro le complot qui se trame sans qu'il n'en sache rien. Jaloux, le voilà à son tour "épinglé".