Victimes de l’esprit colonialiste 

 

 Cannibale, de Didier Daeninckx

 

      Cannibale, un titre plutôt intrigant, mystérieux, qui incite déjà le lecteur à se poser diverses questions sur le personnage sachant que « cannibale » se dit d’un homme mangeant de la chair humaine…

       Quel titre étrange… Qui est ce « cannibale » ? On se demande bien à quel style de roman on va avoir à faire. Une histoire tragique où les morts s’additionnent, ou bien une histoire où le « cannibale » est la victime… ?

      « L’homme que tu as chassé sans même essayer de l’écouter a soixante-quinze ans, comme moi. Même s’il est blanc, il est tout aussi kanak que toi et moi : il a fait des mois de prison, chez les siens, pour avoir pris ma défense… »

      « (…) il y a beaucoup de choses encore plus surprenantes dans mon histoire… »

      Ces deux extraits situés dans les premières pages du roman, nous renseignent sur ce livre au titre étrange… On comprend ici que le personnage va sûrement raconter une période de sa vie lorsqu’il était jeune (puisqu’il a aujourd’hui soixante-quinze ans). De même, on peut comprendre qu’il va probablement s’agir de problèmes de racisme. Un passage donc très déterminant pour la suite. C’est là que commence réellement le roman.

     Le court texte de Didier Daeninckx nous rappelle un événement presque oublié de tous. L’histoire se déroule en 1931 à Paris où se tient l’exposition coloniale : sorte d’immense foire qui mettait en scène les territoires et les populations de cinq continents. Le récit, qui adopte le point de vue d’un kanak de Nouvelle-Calédonie nous fait vivre ce tragique voyage organisé. C’est en effet, de force que Gocéné, le personnage principal, avec une trentaine de ses compatriotes, ont été embarqués pour la France afin de « figurer » dans une reconstitution de village calédonien, aimable parc d’attraction pour les Parisiens.

     « On nous jetait du pain, des bananes, des cacahuètes, des caramels… Des cailloux aussi. Les femmes dansaient, les hommes évidaient le tronc d’arbre en cadence, et toutes les cinq minutes l’un des nôtres devait pousser un grand cri, en montrant les dents, pour impressionner les badauds.

     Nous n’avions plus une seule minute de tranquillité, même notre repas faisait partie du spectacle. »

      Mais ces hommes ne sont rien d’autre qu’une marchandise humaine. Cet extrait nous le montre bien. En effet, on leur fait jouer un rôle de cannibales féroces et dénués d’où le titre plus explicite ici. L’horreur atteint à son comble lorsqu’une dizaine d’entre eux est envoyée dans un cirque allemand en échange de quelques crocodiles sans même leur demander leur avis… Il s’agit donc des aventures de Gocéné et de son ami Badimoin partant à la recherche de leurs compagnons envoyés en Allemagne…

     « Cannibale » nous offre une vision intéressante des mentalités, de la France de cette époque et surtout de la souffrance de ces hommes non compris, non considérés. Un thème bien connu de cet ancien journaliste, Didier Daeninckx, qui se base, encore une fois, sur un fait divers du siècle passé.

      On s’attache très vite aux personnages qui sont, la plupart du temps, seuls face aux problèmes. Malheureusement, il s’agit de problèmes qui touchent aux droits de l’homme à savoir le racisme, très répandu à cette époque… Il est facile de se plonger dans l’histoire bien qu’elle soit triste. On ne s’ennuie pas à la lecture.

       Il s’agit d’un récit authentique, édifiant, où le lecteur prend une réelle leçon d’humanisme ! Vivement déconseillé aux amateurs de romans à sensations fortes, ou d’action, mais au contraire à recommander aux rêveurs et aux humanistes.

Vanessa Saulière