L'imitation dans "Le recueil de Douai"


Aucun artiste ne part jamais de zéro. Consciemment ou inconsciemment, surtout lorsqu'il est aussi jeune que l'était Rimbaud en 1870, il imite ses aînés, il s'inscrit dans une tradition.

Un poète est d'abord un lecteur de poésie. Rimbaud a beaucoup lu, notamment Victor Hugo et les poètes parnassiens. Non seulement Rimbaud a lu les poètes parnassiens mais  en outre il désire vivement être reconnu par eux. Son rêve est d'être publié dans leur revue  : "Le Parnasse contemporain". Voir sa lettre à Banville : "anch'io, Messieurs du journal, je serai Parnassien". Il les imite donc aussi pour leur plaire. Il est normal qu'il leur emprunte :

 

RIMBAUD, LECTEUR DE BANVILLE

 

EXERCICE :  

1) Voici trois poèmes où Théodore de Banville évoque brièvement Ophélie. Lisez-les, repérez les passages où il est question de l'héroïne shakespearienne, dîtes en quoi ils ont pu inspirer à Rimbaud son poème dédié à ce personnage. Plus généralement : repérez des ressemblances entre le Rimbaud d'Ophélie et le genre de poésie qu'écrivait Théodore de Banville. 

2) Observez les correspondances entre le traitement du thème par les poètes et par les peintres ou les sculpteurs.

  
 
 
Michel Cure : Ophélie (1990) 

LA VOIE LACTEE (Extrait)
Les Cariatides (1843)
        Qui pourrait s'empêcher de craindre et de pâlir
720  Avec Cordélia, la fille du roi Lear,
      Adorant, fille tendre, ainsi qu'une Antigone,
      Son père en cheveux blancs, sans trône et sans couronne,
      Parfum des derniers jours, pauvre Cordélia,
      Seul et dernier trésor du roi qui l'oublia!
725  Qui, répétant tout bas les chansons d'Ophélie,
      Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie?
        Qui dans son coeur éteint n'entend sourdre un écho,
      Et n'aime Juliette écoutant Roméo?
      Comme ces deux enfants, ces deux âmes jumelles
730  Que le premier amour caresse de ses ailes,
      Aspirent en un jour tout un bonheur divin,
      Et meurent, enivrés de ce généreux vin!
      Juliette n'a pas quatorze ans; c'est une âme
      Enfantine, où l'amour brûle comme une flamme;
735  Elle vient au balcon mêler dans chaque bruit
      Les soupirs de son rêve aux cent voix de la nuit,

      Si belle qu'on croirait sur son front diaphane
      Voir le vivant rayon de la nymphe Diane,
      Et le coeur si naïf qu'en ce calice ouvert
740  Le zéphyr qui murmure au sein de l'arbre vert
      Apporte des serments pleins d'une douce joie!
      C'est lui! c'est Roméo! Sur son pourpoint de soie
      La nuit pâle et jalouse a répandu ses pleurs:
      Il a sur son chemin écrasé mille fleurs,
745 Il a par des endroits hérissés, impossibles,
      Franchi facilement des murs inaccessibles;
      Il lui faudra braver, pour sortir du palais,
      Mille cris, les poignards de tous les Capulets!
      Qu'importe à Roméo? c'est pour voir Juliette!
750 Juliette sa soeur, pauvre amante inquiète
      Qui dans cette heure douce où Phoebé resplendit,
      Le rappelle cent fois et n'a jamais tout dit;
      Et qui, trop pauvre alors, pour pouvoir encor rendre
      Son coeur à Roméo, l'aurait voulu reprendre!
755 Oh! lorsque tes cheveux aux magiques reflets
      Inondent ton beau cou, fille des Capulets!
      Quand on a vu pendant cette nuit enchantée
      Rayonner ton front blanc sous la lune argentée!
      Et toi, qu'à ton destin le ciel abandonna,
760 Toi qui nous fais pleurer, belle Desdemona,
      Toi qui ne croyais pas, pauvre ange aux blanches ailes,
      Qu'on pût voir parmi nous des amours infidèles,
      Desdemona candide, ange qui va mourir,
      Quand on a dans son coeur entendu ton soupir
765 Et ce que tu chantais en attendant le More:
      La pauvre âme qui pleure au pied du sycomore!
      Quand on connaît vos soeurs, ces anges gracieux,
      Évoqués une nuit de l'enfer ou des cieux,
      Miranda, Cléopâtre, Imogène, Ophélie,
770 Ces rêves éthérés que le même amour lie!

      Quelle femme ici-bas ferait vibrer encor
      Le coeur extasié par vos cithares d'or?
 


Auguste Préault : Ophélie (bas-relief de bronze)

A Henri Murger
   Odelettes (1856)

Comme l'autre Ophélie, 
Dont la douce folie 
S'endort en murmurant 
     Dans le torrent, 

Pâle, déchevelée 
Et dans l'onde étoilée 
Éparpillant encor 
      Ses tresses d'or, 

Et comme Juliette, 
Qui craignait l'alouette 
Éveillée au matin 
    Parmi le thym, 

Elle est morte aussi jeune 
Au bel âge où l'on jeûne, 
Ta pensive Mimi 
    Au front blêmi, 

Et, dans la matinée 
De la vingtième année, 
Elle a fermé ses yeux 
    Insoucieux. 

Parmi les pâles ombres 
Qui, joyeuses ou sombres, 
A l'entour de ton front 
    Voltigeront, 

Dis, il en est plus d'une 
Dont la tendre infortune 
Souvent nous consola: 
   Mais celle-là, 

C'est notre bien-aimée! 
Sa trace parfumée 
Reste encor dans les champs 
   Avec nos chants! 

Lorsque, dans la nuit brune, 
Un frais rayon de lune 
Argente les berceaux 
    Et les ruisseaux, 

Ta naïve Giselle 
Effleure de son aile 
Des lys et des rosiers 
    Extasiés, 

Et, diaphane et blanche, 
Le soir vers nous se penche, 
En posant ses deux mains 
   Sur les jasmins. 

Sa plainte triste et pure 
Dans le ruisseau murmure, 
Et s'envole en rêvant 
    Avec le vent. 

Que le printemps renaisse, 
Ame de ta jeunesse, 
Elle tressaille aux sons 
    De tes chansons, 

Et parfois se soulève, 
Pour les entendre en rêve 
Dans la brise passer 
    Et s'effacer. 

Rendors-toi, dors heureuse, 
Pauvre fille amoureuse: 
Notre amour te défend 
    Comme un enfant! 

Croise tes mains d'ivoire: 
Car, du moins, ta mémoire 
Qui sait nous attendrir, 
    Ne peut mourir! 

Que le zéphyr en fête 
Te berce! le poëte, 
Qui jadis te pleura, 
    Se souviendra! 

Dans l'herbe toujours verte 
Où, de roses couverte, 
Penche sous le tombeau 
    Ton front si beau, 

La fleur de la prairie 
Brille, toujours fleurie, 
Et peut se marier 
    A son laurier! 

                   Mai 1855.

 

John Everett Millais : Ophelia (1852)

Paul Delaroche : La jeune martyre (1855)

Odilon Redon : L'enfant prédestinée (1905)

 

MASCARADES
Odes funambulesques 
(Janvier 1846)

Le Carnaval s'amuse!
Viens le chanter, ma Muse,
En suivant au hasard
Le bon Ronsard!

Et d'abord, sur ta nuque,
En dépit de l'eunuque,
Fais flotter tes cheveux
Libres de noeuds!

Chante ton dithyrambe
En laissant voir ta jambe
Et ton sein arrosé
D'un feu rosé.

Laisse même, ô Déesse,
Avec ta blonde tresse,
Le maillot des Keller
Voler en l'air!

Puisque je congédie
Les vers de tragédie,
Laisse le décorum
Du blanc peplum,

La tunique et les voiles
Semés d'un ciel d'étoiles,
Et les manteaux épars
A Saint-Ybars!

Que ses vierges plaintives,
Catholiques ou juives,
Tiennent des sanhédrins
D'alexandrins!

Mais toi, sans autre insigne
Que la feuille de vigne
Et les souples accords
De ton beau corps,

Laisse ton sein de neige
Chanter tout le solfège
De ses accords pourprés,
Mieux que Duprez!

Ou bien, mon adorée,
Prends la veste dorée
Et le soulier verni
De Gavarni!

Mets ta ceinture, et plaque
Sur le velours d'un claque
Les rubans querelleurs
Jonchés de fleurs!

Fais, sur plus de richesses
Que n'en ont les duchesses,
Coller jusqu'au talon
Le pantalon!

Dans tes lèvres écloses
Mets les cris et les poses
Et les folles ardeurs
Des débardeurs!

Puis, sans peur ni réserve,
Réchauffant de ta verve
Le mollet engourdi
De Brididi,

Sur tes pas fiers et souples
Traînant cent mille couples,
Montre-leur jusqu'où va
La redowa,

Et dans le bal féerique,
Hurle un rhythme lyrique
Dont tu feras cadeau
A Pilodo!

Tapez, pierrots et masques,
Sur vos tambours de basques!
Faites de vos grelots
Chanter les flots!

Formidables orgies,
Suivez sous les bougies
Les sax aux voix de fer
Jusqu'en enfer!

Sous le gaz de Labeaume,
Hurrah! suivez le heaume
Et la cuirasse d'or
De Mogador!

Et madame Panache,
Dont le front se harnache
De douze ou quinze bouts
De marabouts!

Au son de la musette
Suivez Ange et Frisette,
Et ce joli poupon,
Rose Pompon!

Et Blanche aux belles formes,
Dont les cheveux énormes
Ont été peints, je crois,
Par Delacroix!

De même que la Loire
Se promène avec gloire
Dans son grand corridor
D'argent et d'or,

Sa chevelure rousse
Coule, orgueilleuse et douce;
Elle épouvanterait
Une forêt.

Chantez, Musique et Danse!
Que le doux vin de France
Tombe dans le cristal
Oriental!

Pas de pudeur bégueule!
Amis! la France seule
Est l'aimable et divin
Pays du vin!

Laissons à l'Angleterre
Ses brouillards et sa bière!
Laissons-la dans le gin
Boire le spleen!

Que la pâle Ophélie,
En sa mélancolie,
Cueille dans les roseaux
Les fleurs des eaux!

Que, sensitive humaine,
Desdémone promène
Sous le saule pleureur
Sa triste erreur!

Qu'Hamlet, terrible et sombre
Sous les plaintes de l'ombre,
Dise, accablé de maux:
« Des mots! des mots! »

Mais nous, dans la patrie
De la galanterie,
Gardons les folles moeurs
Des gais rimeurs!

Fronts couronnés de lierre,
Gardons l'or de Molière,
Sans prendre le billon
De Crébillon!

C'est dans notre campagne
Que le pâle champagne
Sur les coteaux d'Aï
Mousse ébloui!

C'est sur nos tapis d'herbe
Que le soleil superbe
Pourpre, frais et brûlants,
Nos vins sanglants!

C'est chez nous que l'on aime
Les verres de Bohême
Qu'emplit d'or et de feu
Le sang d'un Dieu!

Donc, ô lèvres vermeilles,
Buvez à pleines treilles
Sur ces coteaux penchants,
Pères des chants!

Poésie et Musique,
Chantez l'amour physique
Et les coeurs embrasés
Par les baisers!

Chantons ces jeunes femmes
Dont les épithalames
Attirent vers Paris
Tous les esprits!

Chantons leur air bravache
Et leur corset sans tache
Dont le souple basin
Moule un beau sein;

Leur col qui se chiffonne
Sur leur robe de nonne,
Leurs doigts collés aux gants
Extravagants;

Leur chapeau dont la grâce
Pour toujours embarrasse,
Avec son air malin,
Vienne et Berlin;

Leurs peignoirs de barège
Et leurs jupes de neige
Plus blanches que les lys
D'Amaryllis;

Leurs épaules glacées,
Leurs bottines lacées
Et leurs jupons tremblants
Sur leurs bas blancs!

Chantons leur courtoisie!
Car ni l'Andalousie,
Ni Venise, les yeux
Dans ses flots bleus,

Ni la belle Florence
Où, dans sa transparence,
L'Arno prend les reflets
De cent palais,

Ni l'odorante Asie,
Qui, dans sa fantaisie,
Tient d'un doigt effilé
Le narghilé,

Ni l'Allemagne blonde
Qui, sur le bord de l'onde,
Ceint des vignes du Rhin
Son front serein,

N'ont dans leurs rêveries
Vu ces lèvres fleuries,
Ces croupes de coursier,
Ces bras d'acier,

Ces dents de bête fauve,
Ces bras faits pour l'alcôve,
Ces grands ongles couleur
De rose en fleur,

Et ces amours de race
Qu'Anacréon, Horace
Et Marot enchantés,
Eussent chantés!

 

 

RIMBAUD LECTEUR DE GAUTIER

 

Voici deux poèmes de Théophile Gautier, extraits de "Emaux et Camées" (1852). Certains commentateurs les ont considérés comme une source d'inspiration possible pour Le Bal des Pendus. Expliquez pourquoi. Rapprochez aussi ce poème de La Ballade des Pendus de François Villon.

 

Bûchers et tombeaux

Le squelette était invisible,
Au temps heureux de l'Art païen;
L'homme, sous la forme sensible,
Content du beau, ne cherchait rien.

Pas de cadavre sous la tombe,
Spectre hideux de l'être cher,
Comme d'un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair,

Et, quand la pierre se lézarde,
Parmi les épouvantements,
Montrait à l'oeil qui s'y hasarde
Une armature d'ossements;

Mais au feu du bûcher ravie
Une pincée entre les doigts,
Résidu léger de la vie,
Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits;

Ce que le papillon de l'âme
Laisse de poussière après lui,
Et ce qui reste de la flamme
Sur le trépied, quand elle a lui!

Entre les fleurs et les acanthes,
Dans le marbre joyeusement,
Amours, aegipans et bacchantes
Dansaient autour du monument;

Tout au plus un petit génie
Du pied éteignait un flambeau;
Et l'art versait son harmonie
Sur la tristesse du tombeau.

Les tombes étaient attrayantes:
Comme on fait d'un enfant qui dort,
D'images douces et riantes
La vie enveloppait la mort;

La mort dissimulait sa face
Aux trous profonds, au nez camard,
Dont la hideur railleuse efface
Les chimères du cauchemar.

Le monstre, sous la chair splendide
Cachait son fantôme inconnu,
Et l'oeil de la vierge candide
Allait au bel éphèbe nu.

Seulement pour pousser à boire,
Au banquet de Trimalcion,
Une larve, joujou d'ivoire,
Faisait son apparition;

Des dieux que l'art toujours révère
Trônaient au ciel marmoréen;
Mais l'Olympe cède au Calvaire,
Jupiter au Nazaréen;

Une voix dit : Pan est mort! - L'ombre
S'étend. - Comme sur un drap noir,
Sur la tristesse immense et sombre
Le blanc squelette se fait voir;

Il signe les pierres funèbres
De son paraphe de fémurs,
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs,

Des cercueils lève le couvercle
Avec ses bras aux os pointus;
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus;

Il pousse à la danse macabre
L'empereur, le pape et le roi,
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d'effroi;

Il entre chez la courtisane
Et fait des mines au miroir,
Du malade il boit la tisane,
De l'avare ouvre le tiroir;

Piquant l'attelage qui rue
Avec un os pour aiguillon,
Du laboureur à la charrue
Termine en fosse le sillon;

Et, parmi la foule priée,
Hôte inattendu, sous le banc,
Vole à la pâle mariée
Sa jarretière de ruban.

A chaque pas grossit la bande;
Le jeune au vieux donne la main;
L'irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.

Le spectre en tête se déhanche,
Dansant et jouant du rebec,
Et sur fond noir, en couleur blanche,
Holbein l'esquisse d'un trait sec.

Quand le siècle devient frivole
Il suit la mode; en tonnelet
Retrousse son linceul et vole
Comme un Cupidon de ballet

Au tombeau-sofa des marquises
Qui reposent, lasses d'amour,
En des attitudes exquises,
Dans les chapelles Pompadour.

Mais voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le ver rnord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.

Reviens, reviens, bel art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique;
Dévore-le, bûcher brûlant!

Si nous sommes une statue
Sculptée à l'image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.

Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau!

 

Le Souper des armures

Biorn, étrange cénobite,
Sur le plateau d'un roc pelé,
Hors du temps et du monde, habite
La tour d'un burg démantelé.

De sa porte l'esprit moderne
En vain soulève le marteau.
Biorn verrouille sa poterne
Et barricade son château.

Quand tous ont les yeux vers l'aurore
Biorn, sur son donjon perché,
A l'horizon contemple encore
La place du soleil couché.

Ame rétrospective, il loge
Dans son burg et dans le passé;
Le pendule de son horloge
Depuis des siècles est cassé.

Sous ses ogives féodales
Il erre, éveillant les échos,
Et ses pas, sonnant sur les dalles,
Semblent suivis de pas égaux.

Il ne voit ni laïcs, ni prêtres,
Ni gentilshommes, ni bourgeois,
Mais les portraits de ses ancêtres
Causent avec lui quelquefois.

Et certains soirs, pour se distraire,
Trouvant manger seul ennuyeux,
Biorn, caprice funéraire,
Invite à souper ses aïeux.

Les fantômes, quand minuit sonne,
Viennent armés de pied en cap;
Biorn, qui malgré lui frissonne,
Salue en haussant son hanap.

Pour s'asseoir, chaque panoplie
Fait un angle avec son genou,
Dont l'articulation plie
En grinçant comme un vieux verrou;

Et tout d'une pièce, l'armure,
D'un corps absent gauche cercueil,
Rendant un creux et sourd murmure,
Tombe entre les bras du fauteuil.

Landgraves, rhingraves, burgraves,
Venus du ciel ou de l'enfer,
Ils sont tous là, muets et graves,
Les roides convives de fer!

Dans l'ombre, un rayon fauve indiquc
Un monstre, guivre, aigle à deux cous,
Pris au bestiaire héraldique
Sur les cimiers faussés de coups.

Du mufle des bêtes difformes
Dressant leurs ongles arrogants,
Partent des panaches énormes,
Des lambrequins extravagants;
 
Mais les casques ouverts sont vides
Comme les timbres du blason;
Seulement deux flammes livides
Y luisent d'étrange façon.

Toute la ferraille est assise
Dans la salle du vieux manoir,
Et, sur le mur, l'ombre indécise
Donne à chaque hôte un page noir.

Les liqueurs aux feux des bougies
Ont des pourpres d'un ton suspect;
Les mets dans leurs sauces rougies
Prennent un singulier aspect.

Parfois un corselet miroite,
Un morion brille un moment;
Une pièce qui se déboîte
Choit sur la nappe lourdement.

L'on entend les battements d'ailes
D'invisibles chauves-souris,
Et les drapeaux des infidèles
Palpitent le long du lambris.

Avec des mouvements fantasques
Courbant leurs phalanges d'airain,
Les gantelets versent aux casques
Des rasades de vin du Rhin,

Ou découpent au fil des dagues
Des sangliers sur des plats d'or...
Cependant passent des bruits vagues
Par les orgues du corridor.

D'une voix encore enrouée
Par l'humidité du caveau,
Max fredonne, ivresse enjouée,
Un lied, en treize cents, nouveau.

Albrecht, ayant le vin féroce,
Se querelle avec ses voisins,
Qu'il martèle, bossue et rosse,
Comme il faisait des Sarrasins.

Échauffé, Fritz ôte son casque,
Jadis par un crâne habité,
Ne pensant pas que sans son masque
Il semble un tronc décapité.

Bientôt ils roulent pêle-mêle
Sous la table, parmi les brocs,
Tête en bas, montrant la semelle
De leurs souliers courbés en crocs.

C'est un hideux champ de bataille
Où les pots heurtent les armets,
Où chaque mort par quelque entaille,
Au lieu de sang vomit des mets.
 
Et Biorn, le poing sur la cuisse,
Les contemple, morne et hagard,
Tandis que, par le vitrail suisse
L'aube jette son bleu regard.

La troupe, qu'un rayon traverse,
Pâlit comme au jour un flambeau,
Et le plus ivrogne se verse
Le coup d'étrier du tombeau.

Le coq chante, les spectres fuient
Et, reprenant un air hautain,
Sur l'oreiller de marbre appuient
Leurs têtes lourdes du festin!

 

 

RIMBAUD LECTEUR DE VICTOR HUGO

RECHERCHE PERSONNELLE : Lisez sur internet les poèmes suivants de Victor Hugo  : Les pauvres gens (La légende des siècles); Chanson (Les Châtiments, VII,6.); Romancero du Cid, Les quatre jours d'Elciis, Le cercle des tyrans (La légende des siècles). Quels rapprochements pouvez-vous faire avec certains poèmes du recueil de Douai ?

 

Eléments de corrigé

A Victor Hugo, Rimbaud emprunte : 

 

 


LIENS UTILES POUR L'EXERCICE


Vous pouvez trouver informations et textes sur internet, aux adresses ci-dessous :

  • Le Parnasse (les poètes parnassiens)

http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/ma/ma_2609_p0.html

  • Théophile Gautier / Emaux et camées

http://www.chez.com/damienbe/gautier_emaux.htm

  • Théodore de Banville / Oeuvres poétiques complètes

http://www.mta.ca/faculty/arts-letters/frenspan/banville/

  • Liens Hugo sur internet :

http://le-village.ifrance.com/civilisation/hugo.html

 

  • François Villon / La ballade des pendus

http://www.historique.net/philologie/pendus/

http://www.ac-strasbourg.fr/pedago/lettres/lecture/Pendus.htm

Questions sur La ballade des pendus

http://ryecityschools.lhric.org/high/fl/french/fr45/pendusques.htm