NOTES SUR QUELQUES ALLUSIONS
HISTORIQUES ET LITTERAIRES
DANS "LE BARON PERCHE"

Les références renvoient à l'édition de poche Points Romans n° 10

 

 

CHAPITRE I

La guerre de succession d'Autriche (1740-1748) :

"Konradine était fille du général Konrad von Kurtewitz, lequel, vingt ans auparavant, avait occupé nos terres à la tête des troupes de Marie Thérèse d'Autriche" (p.13).

Italo Calvino a situé son histoire dans le "hameau d'Ombreuse" (p.22) situé sur la côte ligure, quelque part entre Gênes et la France. Voir aussi Le Baron perché p.74-75 : "il y avait beau temps que le territoire était commune libre, tributaire de la République de Gênes".

Il est peut-être utile de savoir qu'Italo Calvino a passé sa propre enfance à San Remo, sur la Riviera italienne.

En 1767, date à laquelle commence le roman, l'Italie n'existe pas encore en tant que nation unifiée, il faudra pour cela attendre la décennie 1860-1870. La côte méditerranéenne du nord de l'Italie (Golfe de Gênes) appartient à la cité de Gênes, constituée en république indépendante depuis 1100 et qui le restera jusqu'en 1815, date à laquelle elle est annexée au Royaume de Sardaigne. La République de Gênes est gouvernée par un Conseil regroupant des représentants élus de la haute noblesse, c'est une république aristocratique. La ville doit sa richesse au commerce maritime. Mais son indépendance est sans cesse menacée par de puissants voisins : notamment le duché de Savoie qui contrôle la Sardaigne et le Piémont (région de Turin).

A la mort de l'empereur germanique Charles VI, en 1740, l'arrivée au pouvoir de Marie-Thérèse d'Autriche à Vienne est contestée par plusieurs de ses cousins régnant sur des pays voisins. Un conflit de dimension européenne commence. Le nord de l'Italie est un des terrains de bataille. C'est alors que les armées autrichiennes envahissent la république de Gênes, et avec elles la fille du général Von Kurtewitz, mère de Côme et du narrateur, selon la fiction imaginée par Italo Calvino.

 

 

 

 

CHAPITRE II

Linné (Karl von), 1707-1778.

"Le grand-père du Marquis actuel, disciple de Linné, avait mis en mouvement toute la vaste parenté que sa famille comptait aux cours de France et d'Angleterre pour se faire envoyer des colonies les trésors botaniques les plus précieux"

Botaniste suédois du XVIII° siècle, Linné est celui par qui la botanique devient une science moderne. Il est le premier à proposer une nomenclature générale et un classement systématique des plantes, fondé sur l'analyse du processus de fructification.

Italo Calvino est le fils de Mario Calvino, botaniste et agronome, et de Evelina Mameli, professeur de botanique. Ses parents travaillaient dans un vaste parc botanique, abondant en arbres et plantes exotiques, où il s'est souvent promené quand il était enfant.

 

 

 

CHAPITRE VII

Jésuites et Jansénistes.

"Car il (le Baron du Rondeau, père de Côme) s'était mis en tête qu'il existait entre les Jésuites et lui une guerre à mort (...) En fait, il y avait eu des bisbilles au sujet d'un jardin dont notre famille et la Compagnie de Jésus se disputaient la propriété (...) et c'est ainsi qu'il nous avait pris comme père spirituel ce demi-Janséniste dont la tête était toujours dans les nuages"

 

Jansénisme : doctrine de Jansénius, nom latin de l'évêque d'Ypres; reprise par un courant particulièrement rigoureux du catholicisme français, autour de l'abbaye de Port-Royal, cette doctrine est à l'origine d'une grave crise religieuse dans la deuxième moitié du XVII° siècle.

Pour les Jansénistes, l'homme ne peut être sauvé que si Dieu lui accorde sa grâce. Et, contrairement à la pratique religieuse laxiste encouragée par les Jésuites, il ne suffit pas à l'homme de se repentir sincèrement de ses fautes pour obtenir cette grâce. Dieu pouvant refuser sa grâce, il convient de vivre dans la plus grande rectitude morale, la plus grande dévotion, pour se donner une meilleure chance d'obtenir la bienveillance du Créateur.

Considérée par Rome et par les Jésuites comme une résurgence du Calvinisme et de sa théorie de la prédestination (l'homme aurait une fois pour toutes la grâce dés sa naissance ou ne pourrait jamais l'obtenir), suspecte au pouvoir politique qui perçoit dans son rigorisme une condamnation implicite des moeurs relâchées de la Cour, la doctrine janséniste est impitoyablement réprimée.

 

Jésuites : soldats de Jésus. La compagnie de Jésus, fondée au XVI° siècle par Ignace de Loyola, se présente dés son origine comme un ordre religieux voué à l'évangélisation et au combat contre la Réforme (le protestantisme). Désireux d'influencer les élites sociales, ils consacrent une grande partie de leurs efforts à l'éducation des jeunes gens. Ce même souci les pousse à diffuser une morale religieuse souple et accommodante (la "casuistique" : étude des cas de conscience) compatible avec le mode de vie des élites aristocratiques, que leurs adversaires Jansénistes considèrent comme un encouragement au relâchement moral et à l'hypocrisie.

Le conflit de propriétaires terriens qui oppose le Baron de Rondeau à la Compagnie de Jésus dans Le Baron perché fait référence à un autre reproche adressé aux Jésuites par leurs détracteurs, celui de chercher à s'enrichir par l'acquisition de vastes domaines en Europe comme dans les Colonies.

Voir une autre note sur les Jésuites au Chapitre XVII.

 

 

 

Chapitre XII

Les lectures de Côme

"Donc, il lisait le Gil Blas de Lesage, tenant d'une main le volume, de l'autre son fusil" (p. 118)

  • biographie de Lesage, auteur du XVIII° siècle : http://tuna.uchicago.edu/homes/jack/writers/lesage.html
  • résumé de Gil Blas de Santillane : Gil Blas, fils d'un écuyer et d'une duègne, quitte à 17 ans la maison familiale pour faire ses études à l'université de Salamanque. En route, il est volé par un muletier, puis attaqué par des brigands au milieu desquels il vit quelque temps. Il s'échappe en compagnie d'une dame prisonnière de ces mêmes brigands. Pris pour un des leurs, il est mis en prison. Puis il gagne Valladolid où il devient serviteur d'un médecin. A Madrid, il fréquente le milieu du théâtre, puis devient favori du duc de Lerme. A partir de là, le roman nous entraîne dans les cercles du pouvoir. Le principe est celui du roman d'aventures, chaque étape du récit donnant à son auteur l'occasion de portraits et de tableaux de la société de son temps. Ce roman-fleuve a paru en plusieurs tomes successifs, les deux premiers livres en 1715, le troisième en 1724, le quatrième en 1735. 

Lesage est aussi l'auteur d'une comédie célèbre : Turcaret. Turcaret est le nom donné par Violette à son basset avant qu'il ne devienne Optimus Maximus. Voir Chapitre XXII, page 208.

 

"Un beau jour, il découvrit les romans de Richardson" (p.122)

"il préféra lui lire un roman de Fielding dont les péripéties mouvementées compenseraient en quelque façon la perte de sa liberté. Pendant son procès, Jean des Bruyères n'avait la tête qu'aux aventures de Jonathan Wild" (p.128)

 

 

 

CHAPITRE XIII

Côme découvre les Lumières

" Monsieur l'Abbé, combien d'épouses peut avoir un Persan? Monsieur l'Abbé, qui c'est le Vicaire Savoyard? Monsieur l'Abbé, pourriez-vous m'expliquer le système de Linné?" (p.130)

"il avait toujours quelque nouvelle histoire à raconter, lui : sur Rousseau qui herborisait pendant ses promenades, sur Benjamin Franklin captant la foudre à l'aide de cerfs-volants, sur le baron de La Hontan, qui vivait heureux parmi les indiens d'Amérique" (p.130-131)

  • Le baron de La Hontan (1666-1715) : engagé dans les armées envoyées par la France au Canada pour coloniser le pays et combattre les indiens iroquois, ce noble désargenté originaire du Béarn explore en profondeur la région des grands lacs et en ramène des récits de voyage qui connaîtront un grand succès au début du XVIII° siècle. 

    Visitez un très joli site consacré à ce personnage et qui se lit comme un roman : 
    Sur "http://www.civilizations.ca"  Choisir : langue française. Rechercher :  Musée Virtuel de la Nouvelle France. Rubrique "Les explorateurs" . Sous-rubrique : Lahontan. 

    ou, plus court : 

     http://www.civilisations.ca/vmnf/explor/explor_f.html 

 

 

"lui, cependant, discourait sur les régimes monarchique et républicain, sur les variations du juste et du vrai dans les différentes religions, sur le rituel chinois, le tremblement de terre de Lisbonne, la bouteille de Leyde et la doctrine sensualiste" (p.131)

 

 

  • sensualisme : doctrine philosophique selon laquelle toutes les connaissances que nous élaborons viennent des sensations que nous éprouvons. Doctrine développée par Locke (1632-1704) et Condillac (1714-1780) .
    Condillac et la doctrine sensualiste  : http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/c/c0007156_p0.html

 

"Au milieu de ses bréviaires, ils trouvèrent les oeuvres de Bayle. Les pages n'étaient pas coupées. Mais il n'en fallut pas plus pour qu'on encadrât l'abbé et qu'on l'emmenât" (p.133)

  • Pierre Bayle (1647-1706) : philosophe français du XVII° siècle; considéré comme un précurseur de l'esprit des Lumières : 

           http://pages.globetrotter.net/pcbcr/bayle.html 

"la lecture de l'Encyclopédie, avec ses beaux articles sur l'Abeille, l'Arbre, le Bois, le Jardin, lui fit porter sur ce qu'il avait un regard neuf". (p.134)

 

 

 

CHAPITRE XV

Zaïre

"-- Zaïre... Ah! Zaïre... Allah, Allah, faisait le vieux.
 -- Qui est cette Zaïre, Chevalier, vous croyez trouver Zaïre en allant de ce côté-là?
 Aeneas-Sylvius Carrega faisait, de la tête, signe que oui et parlait turc au milieu de ses larmes, en criant le nom de Zaïre à la lune". (p.154)

Zaïre est le titre d'une tragédie en cinq actes et en vers de Voltaire, jouée pour la première fois en 1732 au Théâtre Français. Orosmane, roi de Jérusalem, est amoureux d'une de ses captives : Zaïre. Lorsqu'un de ses prisonniers, le chevalier français Nérestan, réussit à se procurer l'argent de la rançon demandée par le prince mahométan, celui-ci accepte de libérer ses otages à l'exception de Zaïre, qu'il propose d'épouser. Zaïre n'est pas insensible à l'honneur qui lui est fait, mais son père Lusignan et son frère Nérestan la supplient de ne pas trahir sa religion. Orosmane, surprenant une conversation entre Zaïre et Nérestan, et ignorant qu'ils sont frère et soeur, sombre dans la jalousie et poignarde Zaïre avant de se tuer.

Calvino s'est évidemment souvenu de cette pitoyable intrigue, lorsqu'il prête au Chevalier Carrega, oncle naturel de Côme, un amour nostalgique pour une mystérieuse Zaïre, abandonnée en Turquie, qu'il cherche semble-t-il à protéger ou à racheter en jouant le rôle d'espion au service des barbaresques.

 

 

 

CHAPITRE XVII

Les Jésuites chassés du territoire espagnol

"C'était le Révérend Père Sulpicio de Guadalete, de la Compagnie de Jésus, exilé depuis que son ordre avait été banni d'Espagne"(p.168)

Les Jésuites se sont rendus impopulaires auprès des Bourbons espagnols en développant au nouveau-monde des "missions" indépendantes soustraites à l'influence des colonisateurs. 

Les philosophes du 18° siècle ont montré une certaine hésitation dans leurs jugements sur les "réductions Jésuites du Paraguay". Dans Candide, Voltaire se montre sévère : "Los Padres y ont tout, et les peuples rien". Mais dans son Essai sur les moeurs, le jugement est plus nuancé : "Les Jésuites se sont à la vérité servis de la religion pour ôter la liberté aux peuplades du Paraguay : mais ils les ont policées; ils les ont rendues industrieuses, et sont venus à bout de commander un vaste pays, comme en Europe on gouverne un couvent. Il paraît que les primitifs ont été plus justes et les Jésuites plus politiques. Les premiers ont regardé comme un attentat l'idée de soumettre leurs voisins; les autres se sont faits une vertu de soumettre les sauvages par l'instruction et par la persuasion" (Essai sur les moeurs, chap CLIV - 1756). 

Quoi qu'il en soit, il est certain que les Jésuites ont suffisamment gêné les colons espagnols et portugais pour que ceux-ci réclament à leurs gouvernements, et ces derniers au pape, l'expulsion de la Compagnie.

Petit site touristique sur les Missions Jésuites au Paraguay : http://www.partir.com/Paraguay/Jesuites.html 

Les Jésuites sont chassés du Portugal en 1759, de France en 1764, d'Espagne en 1767 et suscitent une telle opposition que le pape Clément XIV supprime l'ordre en 1773. La plupart d'entre eux se réfugient en Italie. Dans Le Baron Perché, Calvino reprend à son compte la vision négative de Voltaire et présente les Jésuites comme des matamores et des comploteurs (voir notamment le chapitre XXV).

L'ordre des Jésuites sera rétabli en 1814, mais les attaques continuent tout au long du XIXe siècle : en France, par exemple, ils sont chassés en 1880, puis à nouveau en 1901. Aujourd'hui, il est florissant.

 

 

 

CHAPITRE XVIII

Nouvelles lectures de Côme

"Grâce à quoi il put lire à Ursule Paul et Virginie, ainsi que La Nouvelle Héloïse" (p.175)

 

  • Julie ou La Nouvelle Héloïse, roman de Jean-Jacques Rousseau. En 1756, alors qu'il vit de plus en plus en ermite et qu'il se fâche avec ses amis encyclopédistes qui lui reprochent sa misanthropie, Rousseau commence la rédaction de Julie ou La nouvelle Héloïse. Il transpose dans ce roman l'amour malheureux éprouvé pour Mme d'Houdetot, déjà fiancée à son ami Saint-Lambert. Il s'agit d'un roman par lettres, peignant la passion d'une jeune femme mariée, Julie, et de Saint-Preux, passion condamnée à rester insatisfaite, les deux amants se refusant à trahir la confiance du mari de Julie. Lors de la publication en 1861, le thème de l'amour contrarié par la société touche profondément la sensibilité du public et assure un énorme succès populaire au roman.    

          Un résumé plus substantiel sur : http://www.alalettre.com/  Rubrique : Rousseau. Oeuvres.

 

 

CHAPITRE XIX

Côme, utopiste.

"C'est à cette époque qu'il commença d'écrire un "Projet de Constitution pour un Etat Idéal qu'on installerait dans les arbres". Il y décrivait la République imaginaire d'Arborée, que seuls des justes habitaient." (p.186)

L'allusion à Jean-Jacques Rousseau est ici transparente. En 1765, Rousseau écrit à la demande d'un ami corse un "Projet de constitution pour la Corse". Le débat sur l'organisation politique idéale de la société est constant au XVIII° siècle que ce soit sous la forme de projets réalistes, en liaison avec les bouleversements historiques en cours (indépendance américaine, révolution française) ou sous la forme fantaisiste de l'Utopie (l'Eldorado de Voltaire dans Candide, par exemple).

Un peu plus loin dans le roman, au chapitre XXV, pages 247-248, Calvino analyse le comportement paradoxal de Côme vis à vis de la société, dans des termes qui pourraient parfaitement convenir à Rousseau : 

" Je n'ai jamais compris comment Côme pouvait concilier sa passion de la vie en association et son refus perpétuel de l'univers social ..."

 

 

 

 

CHAPITRE XXIII

Violette et La Fayette

"La Marquise, qui avait commencé par s'intéresser aux événements (elle faisait partie de l'entourage de La Fayette) émigra ensuite en Belgique, puis en Angleterre" (p.230).

 

 

 

CHAPITRE XXIX

Côme rencontre le prince André (Bolkonsky)

" -- Adieu, Monsieur, quel est votre nom?
  -- Baron Côme du Rondeau, cria Côme à l'autre qui partait déjà. Prochtchaïte, gospodine ... et le vôtre?
  -- Je suis le prince André ...
  Le galop du cheval emporta le nom de famille" (p.277)

Dans ce passage, Italo Calvino imagine la rencontre entre son héros et l'un des principaux personnages du roman de l'écrivain russe Tolstoï La Guerre et la Paix (1869). Le prince André Bolkonsky participe à la résistance des armées russes contre l'invasion napoléonienne. Il n'est pas absolument improbable qu'il ait pu pourchasser les armées impériales en déroute jusqu'en Italie en cette année 1812. André Bolkonsky représente dans Guerre et Paix la vieille aristocratie russe, observant avec une certaine incompréhension l'émergence d'un monde nouveau. Il meurt des suites d'une blessure reçue à la bataille de Borodino (1812). Sa rencontre avec Côme, au moment où ce dernier approche de sa propre mort, renforce l'impression qu'une époque est en train de s'achever. Le Siècle des Lumières s'achève sur un bilan des plus ambigus.

 

 

 

CHAPITRE XXX

La montgolfière

"Alors une montgolfière apparut dans le ciel" (p.281)

"Joseph Montgolfier était un Français, producteur de papier en Annonay. Il est né en 1740 et avait une véritable passion pour les nouvelles machines, comme c'était très à la mode à l'époque. Avec son frère cadet Etienne, ils avaient souvent rêvé au vol humain. Ils avaient même déjà imaginé de capturer les nuages dans une espèce d'enveloppe et d'y suspendre un panier. Cependant ils ne savaient pas comment réaliser cette idée. Ainsi, quand Joseph parvint à gonfler sa chemise en la tenant par le col au dessus du feu dans sa cheminée, il sut immédiatement qu'il venait d'avoir une idée de génie. Il comprit que, l'air chaud étant plus léger que l'air froid, il pouvait de cette manière soulever quelque chose de lourd. Il fit part de sa découverte à Etienne et tous deux commencèrent à imaginer la forme qu'il pouvait utiliser pour construire un ballon pour leurs premières expériences. Pour commencer, ils choisir un globe d'un mètre cube, en soie. Ils le chauffèrent au-dessus d'un feu, et il décolla d'une trentaine de mètres. Ces évènements eurent lieu en Novembre 1782. On peut les considérer comme la naissance de l'aérostatique."