OBJET D’ETUDE : LE THEATRE

 

Corpus :

Document 1 : Molière, La critique de L’école des femmes (1663)
Document 2 : Musset, Une soirée perdue (1840)
Document 3 : Pagnol, Le Schpountz (1938)
Document 4 : Muriel Robin, La solitude (1989)

QUESTION (6 points) : Dorante, dans la pièce de Molière, Musset, dans son poème, et Françoise dans la pièce de Pagnol font tous trois l’éloge de la comédie : quels sont leurs principaux arguments ? Montrez en quoi le sketch de Muriel Robin pourrait servir d’exemple à l’appui de ces arguments (ou de certains d’entre eux)?

TRAVAIL D’ECRITURE (14 points) :

Vous traiterez un de ces trois sujets, au choix :

COMMENTAIRE COMPOSE : Vous proposerez un commentaire du poème d’Alfred de Musset en suivant le parcours de lecture suivant : vous dégagerez d’abord le plan suivi par le poème et commenterez l’effet recherché ; puis vous mettrez en évidence dans ce texte une sorte d’autoportrait, en analysant ce que l’auteur nous laisse deviner de sa personnalité.

 DISSERTATION : Irénée définit un spectacle comique comme « un spectacle qui ne nous fera pas penser, qui ne nous posera aucun problème ». Vous discuterez ce point de vue en vous appuyant sur des arguments et des exemples de votre choix, empruntés au théâtre ou à d’autres formes d’expression. Vous pourrez trouver dans les textes du corpus de quoi alimenter votre réflexion.

INVENTION :

 

 

DOCUMENT 1 – MOLIERE : LA CRITIQUE DE L’ECOLE DES FEMMES, SCENE 6 (1663)

URANIE -- [ ... ] La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée mais la comédie a ses charmes, et Je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre. 

DORANTE -- Assurément, madame; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un peu plus du côté de la comédie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu'il est bien plus facile de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point de ressemblance ; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien écrites; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.


DOCUMENT 2 - ALFRED DE MUSSET, UNE SOIREE PERDUE, 1840.

 

    J'étais seul, l'autre soir, au Théâtre-Français,

Ou presque seul; l'auteur n'avait pas grand succès.

Ce n'était que Molière, et nous savons de reste

Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste ,

Ignora le bel art de chatouiller l'esprit

Et de servir à point un dénoûment bien cuit.

Grâce à Dieu, nos auteurs ont changé de méthode,

Et nous aimons bien mieux quelque drame à la mode

Où l'intrigue, enlacée et roulée en feston,

Tourne comme un rébus autour d'un mirliton.

 

    J'écoutais cependant cette simple harmonie,

Et comme le bon sens fait parler le génie.

J'admirais quel amour pour l'âpre vérité

Eut cet homme si fier en sa naïveté,

Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,

Quelle mâle gaîté, si triste et si profonde

Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer!

Et je me demandais : « Est-ce assez d'admirer ?

Est-ce assez de venir, un soir, par aventure,

D'entendre au fond de l'âme un cri de la nature ,

D'essuyer une larme, et de partir ainsi,

Quoi qu'on fasse d'ailleurs, sans en prendre souci ? »

    Enfoncé que j'étais dans cette rêverie,

Çà et là, toutefois, lorgnant la galerie,

Je vis que, devant moi, se balançait gaîment

Sous une tresse noire un cou svelte et charmant;

Et, voyant cet ébène enchâssé dans l'ivoire,

Un vers d'André Chénier chanta dans ma mémoire,

Un vers presque inconnu, refrain inachevé,

Frais comme le hasard, moins écrit que rêvé.

J'osai m'en souvenir, même devant Molière;

Sa grande ombre, à coup sûr, ne s'en offensa pas;

Et, tout en écoutant, je murmurais tout bas,

Regardant cette enfant, qui ne s'en doutait guère :

« Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,

Se plie, et de la neige effacerait l'éclat».

Puis je songeais encore (ainsi va la pensée)

Que l'antique franchise, à ce point délaissée,

Avec notre finesse et notre esprit moqueur,

Ferait croire, après tout, que nous manquons de coeur;

Que c'était une triste et honteuse misère

Que cette solitude à l'entour de Molière,

Et qu'il est pourtant temps, comme dit la chanson,

De sortir de ce siècle ou d'en avoir raison;

Car à quoi comparer cette scène embourbée,

Et l'effroyable honte où la muse est tombée ?

La lâcheté nous bride, et les sots vont disant

Que, sous ce vieux soleil, tout est fait à présent;

Comme si les travers de la famille humaine

Ne rajeunissaient pas chaque an, chaque semaine.

Notre siècle a ses moeurs, partant, sa vérité;

Celui qui l'ose dire est toujours écouté.

     Ah! j'oserais parler, si je croyais bien dire;

J'oserais ramasser le fouet de la satire,

Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verts

Qui se fâchait jadis pour quelques mauvais vers.

S'il rentrait aujourd'hui dans Paris, la grand'ville ,

Il y trouverait mieux pour émouvoir sa bile

Qu'une méchante femme et qu'un méchant sonnet;

Nous avons autre chose à mettre au cabinet.

O notre maître à tous! si ta tombe est fermée,

Laisse-moi dans ta cendre, un instant ranimée,

Trouver une étincelle, et je vais t'imiter

J'en aurai fait assez si je puis le tenter.

Apprends-moi de quel ton, dans ta bouche hardie,

Parlait la vérité, ta seule passion,

Et, pour me faire entendre, à défaut du génie,

J'en aurai le courage et l'indignation!

    Ainsi je caressais une folle chimère.

Devant moi cependant, à côté de sa mère,

L'enfant restait toujours, et le cou svelte et blanc

Sous les longs cheveux noirs se berçait mollement.

Le spectacle fini, la charmante inconnue

Se leva. Le beau cou, l'épaule à demi nue

Se voilèrent; la main glissa dans le manchon;

Et, lorsque je la vis au seuil de sa maison

S'enfuir, je m'aperçus que je l'avais suivie.

Hélas! mon cher ami, c'est là toute ma vie.

Pendant que mon esprit cherchait sa volonté,

Mon corps avait la sienne et suivait la beauté;

Et quand je m'éveillai de cette rêverie,

Il ne m'en restait plus que l'image chérie :

« Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,

Se plie, et de la neige effacerait l'éclat. »


 

 DOCUMENT 3 - MARCEL PAGNOL : LE SCHPOUNTZ (1938)

Irénée, un provincial naïf qui rêve de devenir acteur tragique, a été engagé pour tourner dans un film. Le jour de la sortie du film, à laquelle il n 'assiste pas, son amie Françoise lui rend compte des réactions du public et lui apprend qu'il fait rire, en particulier dans la grande scène d'amour.

IRÉNÉE - Écoutez!  Supposez qu'un ingénieur ait inventé un nouveau canon, qui tire plus loin que les autres. Et au premier essai, ce canon tire par-derrière, et l'inventeur qui surveillait le tir tout plein d'espoir et de fierté, reçoit l'obus dans l'estomac.  Il tombe et il meurt. Eh bien, moi, mon canon tire à l'envers, je me sens plus triste que si j'étais mort!
FRANÇOISE -
Votre succès va vous ressusciter.
IRÉNÉE -
Et vous croyez que je vais accepter un succès de comique! Ah non. Pouah!
FRANÇOISE -
Mais pourquoi?
IRÉNÉE -
Faire rire!  Devenir un roi du rire! C'est moins effrayant que d'être guillotiné, mais c'est aussi infamant.
FRANÇOISE -
Pourquoi?
IRÉNÉE
- Des gens vont dîner, avec leur femme ou leur maîtresse. Et vers neuf heures du soir, ils se disent : « Ah, maintenant qu'on est repu, et qu'on a fait les choses sérieuses de la journée, où allons nous trouver un spectacle qui ne nous fera pas penser, qui ne nous posera aucun problème et qui nous secouera un peu les boyaux, afin de nous faciliter la digestion?»
FRANÇOISE
- Allons donc!  Vous exagérez tout...
IRÉNÉE
- Oh non, car c'est même encore pire : ce qu'ils viennent chercher, quand ils vont voir un comique, c'est un homme qui leur permette de s'estimer davantage.  Alors pour faire un comique, le maquilleur approfondit une ride, il augmente un petit défaut. Au lieu de corriger mon visage, au lieu d'essayer d'en faire un type d'homme supérieur, il le dégradera de son mieux, avec tout son art. Et si alors j'ai un grand succès de comique, cela voudra dire que dans toutes les salles de France, il ne se trouvera pas un homme, si bête et si laid qu'il soit, qui ne puisse pas se dire : « Ce soir je suis content, parce que j'ai vu - et j'ai montré à ma femme - quelqu'un de plus bête et de plus laid que moi. » (Un temps, il réfléchit.) Il y a cependant une espèce de gens auprès de qui je n'aurai aucun succès: les gens instruits, les professeurs, les médecins, les prêtres. Ceux-là, je ne les ferai pas rire, parce qu'ils ont l'âme assez haute pour être émus de pitié. Allez, Françoise, celui qui rit d'un autre homme, c'est qu'il se sent supérieur à lui.  Celui qui fait rire tout le monde, c'est qu'il se montre inférieur à tous.
FRANÇOISE
- Il se montre, peut-être, mais il ne l'est pas.
IRÉNÉE
- Pourquoi ?
FRANÇOISE
- Parce que l'acteur n'est pas l'homme. Vous avez vu Charlot sur l'écran qui recevait de grands coups de pied au derrière.  Croyez-vous que dans la vie, M. Charlie Chaplin accepterait seulement une gifle? Oh non!  Il en donnerait plutôt... C'est un grand chef dans la vie, M. Chaplin.
IRÉNÉE
- Alors, pourquoi s'abaisse-t-il à faire rire ?
FRANÇOISE
- Quand on fait rire sur la scène ou sur l'écran, on ne s'abaisse pas, bien au contraire. Faire rire ceux qui rentrent des champs, avec leurs grandes mains tellement dures qu'ils ne peuvent plus les fermer; ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines qui ne savent plus le goût de l'air.  Ceux qui reviennent de l'usine, la tête basse, les ongles cassés, avec de l'huile noire dans les coupures de leurs doigts... Faire rire tous ceux qui mourront, faire rire tous ceux qui ont perdu leur mère, ou qui la perdront...
IRÉNÉE
- Mais qui c'est ceux-là?
FRANÇOISE
- Tous... Ceux qui n'ont pas encore perdu la mère, la perdront un jour... Celui qui leur fait oublier un instant les petites misères... la fatigue, l'inquiétude et la mort; celui qui fait rire des êtres qui ont tant de raisons de pleurer, celui-là leur donne la force de vivre, et on l'aime comme un bienfaiteur...
IRÉNÉE
- Même si pour les faire rire il s'avilit devant leurs yeux ?
FRANÇOISE
- S'il faut qu'il s'avilisse, et s'il y consent, le mérite est encore plus grand, puisqu'il sacrifie son orgueil pour alléger notre misère... On devrait dire saint Molière, on pourrait dire saint Charlot...
IRÉNÉE
- Mais le rire, le rire... C'est une espèce de convulsion absurde et vulgaire...
FRANÇOISE
- Non, non, ne dites pas de mal du rire.  Il n'existe pas dans la nature; les arbres ne rient pas et les bêtes ne savent pas rire... les montagnes n'ont jamais ri... Il n'y a que les hommes qui rient Les hommes et même les tout petits enfants, ceux qui ne parlent pas encore… Le rire, c'est une chose humaine, une vertu qui n'appartient qu'aux hommes et que Dieu peut-être leur a donnée pour les consoler d'être intelligents.

 

DOCUMENT 4 - MURIEL ROBIN : LA SOLITUDE (1989)

Muriel Robin est une humoriste. Le texte de ce sketch a été écrit en collaboration avec Pierre Palmade.

             [ ... ] Je voudrais revenir sur une chose : quand je dis que je vis seule, ça ne veut pas dire que je ne vois personne. Ah, non, j'ai des amis, j'ai des amis... au bureau. Et puis c'est très très sympa. Je vois : hier, Yvonne n'avait plus de papier, elle est venue m'en demander, je l'ai dépannée, c'était TRÈS sympa ! Mais en revanche, je ne les vois pas à l'extérieur, on ne se voit pas et je préfère. J'aime bien. J'aime bien parce qu'ils ont un vrai respect pour ma vie privée : ils me téléphonent jamais, ils me disent jamais quand ils sortent, bon je le sais toujours parce que le lendemain ils en parlent, mais vraiment ils respectent ma vie privée et j'aime ça. Oui, j'ai une vie privée... privée de tout, c'est vrai, mais privée quand même !
            En ce moment, on rigole au bureau : c'est le jeu des surnoms. Ça n'arrête pas. Jean-Claude, c'est « le distrait », il est toujours distrait ; Jacqueline, c'est « la jacasse », elle parle, elle saoule tout le monde ; Y a « nez rouge » qui a toujours le nez rouge ; et moi, comment ils m'ont appelée déjà... ah oui « tronche de cake » je sais pas où ils vont chercher tout ça, mais qu'est-ce qu'on s'amuse ! ...
            Non, et puis, moi, je ne suis pas vraiment seule : j'ai maman. On se voit beaucoup avec maman. Cette année, je vais refaire mon anniversaire avec elle enfin, j'espère, parce que l'année dernière on devait le faire ensemble, et puis, là encore, il m'en est arrivé une encore... J'arrive chez elle, elle avait tout préparé, les petits plats dans les grands, ça se présentait merveilleusement bien. Il faisait très chaud dans la maison, j'ouvre la fenêtre pour aérer. Y a un terrain de sport juste en dessous. Les gamins qui jouaient, l'amicale, je sais pas quoi, j'ai passé la tête à un moment, je me suis pris le ballon en pleine poire ! J'ai le nez qui a carrément éclaté, le menton accroché à la rambarde : une patate pendant trois semaines. Ça s'est mal goupillé, vraiment. Cette année, on crèvera tous sur place s'il faut, mais avant que j'ouvre la fenêtre, ils peuvent attendre. Ah, non, j'étais défigurée, j'avais bien besoin de ça...
            Pourquoi je vous dis ça ? Les anniversaires ? C'est vrai, y a les Noëls aussi. Ma mère, les Noëls, elle les fait pas. Elle dit que ça coûte trop cher. C'est vrai que c'est pas donné, mais on n'est pas obligé de manger du caviar non plus... Moi, je vois, l'année dernière, je m'étais fait une petite côte de porc, avec beaucoup de jus, j'adore ça. En légume, qu'est-ce que j'avais mis ? Ah oui, du chou-fleur, et en dessert, la bûche ! Une petite tranche de bûche pour la tronche de cake ! C'est vrai, ce qui compte pour Noël, c'est la bûche... la dinde ? La dinde, d'accord, mais moi toute seule, je peux pas me la descendre. Si c'est pour être malade, c'est pas la peine ! Moi, je dis " Noël, faut que ça reste une fête ! "  J'ai une manie, tous les ans depuis très longtemps, j'enlève toujours le petit père Noël, la petite hache, les petits trucs en plastique qui sont dessus, je grave l'année avec un couteau, je les range, et après dans l'année, quand je les ressors, je me rappelle... C'est chouette, hein ?
           
J'ai regardé, cette année, Noël, ça tombe un mercredi. Mercredi, c'est bien, comme ça, y a pas de pont ; la Toussaint, elle tombe quand elle veut, de toutes façons, on s'en fout, y a pas de cadeaux !
            Je dis ça parce que j'aime ça, les cadeaux. L'année dernière, comme j'aime la musique classique, je me suis offert l'intégrale de Cleyderman... Et puis alors des disques !... je m'y attendais pas du tout !
            On n'a pas sonné ? Ah, non, c'est au-dessus ! je crois toujours que c'est chez moi ; c'est ridicule : j'ai pas de sonnerie. Ben, non, j'en ai pas mis, j'en ai pas l'usage : je vais quand même pas sonner pour rent