ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869),

Toussaint Louverture (1850), Acte II, scène 8

 

Dès 1840, Lamartine s’engage pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Son héros noir, Toussaint, entra dans l’Histoire pour s’être dressé contre la France en revendiquant la liberté des Noirs. Convaincu de complot, il fut emprisonné par Napoléon 1er jusqu’à sa mort. La scène qui suit se déroule à Haïti, près de Port-au-Prince. Toussaint exhorte ses troupes contre les Français.

 

TOUSSAINT, aux généraux noirs :

Généraux, inspecteurs, chefs de mes régiments,
          Allez! allez chacun à vos commandements.

          Que l’occasion seule à ma place commande !
          Je ne donne aucun ordre et si l’on vous demande :

          Avez-vous vu Toussaint? Quel est l’ordre du chef ?

          Ré
pondez seulement par un : Non, ferme et bref.

          Sur mes desseins secrets, feignez l’incertitude ;

          Restez dans une fausse et douteuse attitude ;
          Ayez pour les Français des visages amis

          (L’œil ouvert du serpent et des cœurs ennemis).

          Ils flotteront ainsi de l’audace à la crainte,

          Comme on sonde du pied la cendre mal éteinte,

          Demandant ma réponse et l’espérant toujours.
          Nous leur ferons ronger les jours après les jours.
          La fièvre, en attendant, céleste auxiliaire,

          Ouvrira pour leurs os la terre hospitalière,

          Et décimant leurs rangs sous ce climat fatal,

          Changera leur conquête en immense hôpital.

Hourrah!

Moi cependant caché dans mon ombre immobile,
          On me croira toujours à l’autre bout de l’île ;
          Invincible, impalpable, inconnu, mais debout,
          Attendu, regardant, absent, présent partout,
          Comme l’œil du Très-Haut, sur la malice humaine,
          Je serai l’œil des noirs éclairé par la haine !

          Et lorsque le signal

Montrant son front.

                                   Ici retentira
           Reposez-vous sur moi, la foudre en sortira !...

 

 

 

 

COMMENTAIRE COMPOSE DU TEXTE DE LAMARTINE

 

 

Préalable : comprendre les difficultés du texte.

 

TOUSSAINT, aux généraux noirs :

Généraux, inspecteurs, chefs de mes régiments,

Allez! allez chacun à vos commandements.

Que l’occasion seule à ma place commande !

Je ne donne aucun ordre et si l’on vous demande :

Avez-vous vu Toussaint? Quel est l’ordre du chef ?

pondez seulement par un : Non, ferme et bref.

Sur mes desseins secrets, feignez l’incertitude ;

Restez dans une fausse et douteuse attitude ;

Ayez pour les Français des visages amis

(L’œil ouvert du serpent et des cœurs ennemis).

Ils flotteront ainsi de l’audace à la crainte,

Comme on sonde du pied la cendre mal éteinte, 

Demandant ma réponse et l’espérant toujours.

Nous leur ferons ronger les jours après les jours.

La fièvre, en attendant, céleste auxiliaire,

Ouvrira pour leurs os la terre hospitalière,

Et décimant leurs rangs sous ce climat fatal,

Changera leur conquête en immense hôpital.

Hourrah!

Moi cependant caché dans mon ombre immobile,

On me croira toujours à l’autre bout de l’île ;

Invincible, impalpable, inconnu, mais debout,

Attendu, regardant, absent, présent partout,

Comme l’œil du Très-Haut, sur la malice humaine,

Je serai l’œil des noirs éclairé par la haine !

Et lorsque le signal

                                Montrant son front.

                                ici retentira

Reposez-vous sur moi, la foudre en sortira !...


Qui sont ces chefs, comment comprenez-vous ces titres ? Qui les leur a donnés ?Qui est le destinataire ?

 
L’occasion doit commander, dans quel sens ?

Qui est « on » ici ?Les français ? Les noirs ?

 

 

Les généraux connaissent-ils les plans secrets de Toussaint ?

 


L’œil ouvert = sens de « ouvert »

 

La cendre mal éteinte : qu’est-ce qui est comparé à une cendre mal éteinte ?

Quelle est cette indication tactique imagée ?

Même question !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malice ? Mal, incarné ici par les colonisateurs !

 

 

 

 

PLAN DETAILLE DU COMMENTAIRE COMPOSE

 

 

1)      UN BRILLANT ORATEUR

 

Intro : Toussaint a l’art de persuader : « hourrah » => comment cette adhésion des destinataires est-elle obtenue ?

 

a)      Le ton prophétique, la certitude de la victoire : utilisation répétée du futur (presque toujours placés en début de vers, effet d’anaphore) : ils flotteront, Nous leur ferons ronger, la fièvre ouvrira, et … changera, on me croira, je serai, la foudre en sortira… = une vision claire de l’avenir, un plan où tout semble prévu, calculé. D’où le cri d’enthousiasme.

b)     Le ton catégorique : les impératifs et le subjonctif d’ordre. Effet anaphorique. = l’assurance du chef est bien faite pour donner confiance à ses hommes.

c)      L’exagération épique : Toussaint se présente comme un chef aux pouvoirs surnaturels, bénéficiant de la bienveillance céleste : cf notamment les énumérations et les antithèses : « inconnu mais debout » ; « absent, présent partout » (idée d’ubiquité, d’invincibilité). Et des expressions comme : céleste auxiliaire, la foudre en sortira. La comparaison entre lui-même et « l’œil du très-haut ».

d)     L’utilisation de tournures imagées (comparaisons, métaphores, personnifications, allégories), propres à marquer les esprits :

-  métaphores du serpent pour figurer la haine, « ronger les jours » pour attendre.

-  comparaison du calme apparent avec de la cendre mal éteinte,

-  allégorie de la vigilance protectrice et de l’intelligence supérieure figurées par « l’œil » (du Très-Haut , l’œil des noirs, ) allégorie de la puissance guerrière figurée par « la foudre. » (représentation mythologique de Jupiter)

-  personnification de « la fièvre », de l’  « occasion »

e)      L’ironie : la terre hospitalière + le calembour : hospitalière / hopital

f)       La prosopopée des v.4-5-6 : et si l’on vous demande …

 

 

2)      UN BRILLANT STRATEGE

 

          Intro : Cette tirade est aussi un exposé militaire. On y trouve une description de la tactique de la guerre de guérilla. Toussaint expose sa conception personnelle de la guerre de guérilla..

 

a)      Une tactique de harcèlement, d’escarmouches : v.3, et toute la fin : la guerre de l’ombre, mobilité, ubiquité. Ce qui n’exclut pas la possibilité de coordonner les actions « lorsque le signal ici retentira » .

b)     Le culte du secret, de la clandestinité : v.5-6. v.19 « caché »

c)      L’intoxication, la désinformation de l’adversaire, la ruse : champ lexical de la dissimulation, vis à vis de la base comme vis à vis des français. Tromper l’adversaire sur ses intentions. Donner l’impression de la désorganisation afin que l’adversaire vous sous-estime, vous croit battu. Vers 7 à 14.

d)     Une tactique de temporisation : « ronger les jours avec les jours ». Attendre le moment favorable.

e)      Une tactique d’enlisement : jouer sur le climat inhospitalier des Antilles, les maladies tropicales que l’envahisseur étranger n’est pas préparé à affronter (la fièvre).

f)       La haine comme moteur de la guerre

g)      Le culte du chef tout-puissant. Une armée très hiérarchisée, reliée à un cerveau caché tirant toutes les ficelles.