Du 1er octobre au 26 février, le Ministère de l’Education Nationale, les éditions manuscrit. com, les magazines Muteen et Nova Mag, et Radio Nova proposent aux lycéens de participer à un concours national de nouvelles (7500 signes maximum) lancé sur le thème " le respect, ça change l’école ".
Dans le cadre de ce concours, GÉRALDINE TUSTES, élève de la classe de 211, a écrit une nouvelle intitulée L’ÉTRANGER, que nous proposons ici.
L’ÉTRANGER
La chaleur était déjà à son comble en cette matinée de
septembre. J’avais l’impression d’être encore en vacances, mais ce n’était
plus le cas, et le grand portail noir devant moi était là pour me le rappeler.
Eh oui, c’était reparti pour une autre année dans ce lycée, passage vers l’avenir,
mais vers quel avenir ? Beaucoup se posent la question, d’autres pas du
tout. Pour ma part, le futur m’importait peu, ma petite vie bien tranquille me
suffisait, mais plus tard je compris l’importance de ce mot, l’avenir.
Mais revenons à cette journée, je m’en souviens comme si
c’était hier, tous ces cris, ces jeunes qui s’exclamaient, ces bras qui ne
cessaient de s’ouvrir en direction des amis qu’on avait perdus de vue durant
l’été ; la gaieté était à son comble, on avait presque oublié que c’était
le jour de la rentrée.
Tandis que j’avançais dans cette foule en délire, quelque
chose attira mon attention, plus précisément quelqu’un, quelqu’un qui ne
souriait pas.
C’était un garçon, qui, accoudé contre le mur, regardait
le ciel bleu, comme un critique qui cherche le moindre détail imparfait sur la
toile du grand maître. Il me faisait penser à un de ces enfants perdus, que la
mère a oublié de passer prendre à l’école. Il avait l’air si triste et
si seul, je crois que c’est ce qui m’avait le plus surpris, tout le monde
autour se réjouissait, tout le monde sauf lui, et peut-être aurais-je dû y
prêter plus d’attention, mais sur le moment, je ne pensais qu’à une chose,
retrouver mes amis, alors je me détournai pour franchir la grande muraille.
Ma classe semblait assez sympathique. On avait fait
connaissance plutôt facilement, et tout se passait bien, quand soudain la porte
du fond claqua si fort contre le mur que tout le monde sursauta, et les regards
se tournèrent aussitôt vers le fond de la grande salle blanche.
Debout, immobile, un jeune homme était apparu. C’était
celui que j’avais aperçu avant d’entrer. Sans même nous adresser un
regard, il alla s’asseoir, tout seul. Peut-être aurais-je dû l’inviter à
venir à côté de moi ; il restait une place, mais je ne fis rien. Le fait
qu’il ne leur avait même pas adressé la parole durant toute la journée,
avait blessé mes camarades, ils n’avaient pas apprécié cette indifférence
à leur égard, ils étaient si vaniteux, se sentaient si supérieurs, que pour
eux, cela ressemblait à un affront.
Durant les premières semaines, sans doute trop occupés par
la reprise des cours, les élèves avaient calmé leur rancune à l’égard de
celui qu’ils s’amusaient à surnommer " l’étranger ".
Et même si ce surnom un peu exagéré me déplaisait, je dois avouer que son
attitude était quand même le reflet d’une personne étrangère qui arrive
dans un lieu inconnu ; de plus, l’écart se creusait de plus en plus
entre lui et les autres.
Malheureusement, cet écart devint définitif le jour où, à
la suite d’un petit incident, il avait eu le malheur d’en dénoncer l’auteur,
qui fut sévèrement sanctionné. Pour eux, il avait enfreint la loi du silence,
ce code sacré à ne pas briser, et c’était trop.
A partir de ce jour, les règles changèrent radicalement, on
n’en était plus aux simples moqueries, mais aux injures. Les choses se
dégradaient de jour en jour, tout s’abattait sur le pauvre
" étranger ", seul à subir la vengeance de ceux qui se
déclaraient déshonorés. Pas une seule fois il n’alla se plaindre de ce qu’il
subissait, seuls les élèves le savaient, et personne ne disait rien, moi la
première. Dès que quelque chose se produisait, je voulais l’aider, mais je
restais là sans rien faire, et aujourd’hui encore, je m’en veux, je
regrette mon silence face à tout ça. J’avais honte de moi, de cette
impuissance, et ma conscience me hantait dès que je croisais son regard plein
de détresse, mais toujours aussi silencieux.
Le temps passa si vite que je vis à peine arriver les
vacances de Noël. On était vendredi, pour nous, c’était le dernier jour
avant la " libération ", enfin si on oublie la pile de
devoirs à faire pour la rentrée, comme si on avait un mois au lieu de deux
semaines.
Ce soir-là, mon bus avait du retard, il était un peu plus
de six heures, et le brouillard qui s’abattait amenait dans son enveloppe
opaque, le froid humide d’hiver. Alors que j’allais me mettre à l’abri
sous le grand porche du lycée, une ombre arriva vers moi, d’abord un peu
floue. Puis je pus distinguer nettement la personne : c’était
" l’étranger " qui, à vélo, rentrait chez lui en pleine
nuit. Il passa à côté de moi comme une fusée, et il pédalait si vite que je
crus un instant qu’il était poursuivi, mais non, personne ne le suivait.
Alors je me retournai pour le regarder s’éloigner, quand soudain, au moment
où il s’engageait sur le passage piéton pour traverser la route, une voiture
arriva à toute vitesse sur lui. J’entends encore aujourd’hui ce cri qui me
perce les oreilles, et cet appel au secours est incessant.
Le dimanche suivant, je lisais en première page du
journal : " UNE NOUVELLE FOIS LA VITESSE FRAPPE. Un jeune lycéen
a trouvé la mort à la suite d’un accident de la route, survenu vendredi soir
dernier. L’adolescent avait 17 ans et venait d’être confié à une famille
d’accueil il y a quelques mois, en raison du décès tragique de ses parents.
La police a écarté la thèse de l’accident, après avoir constaté que les
freins du deux roues de la victime avaient été sectionnés à l’aide d’un
objet tranchant. Le ou les auteurs de ce crime n’ont pas encore été
arrêtés, mais l’enquête se poursuit ".
Tandis que les mots défilaient sous mes yeux, les larmes
commençaient à envahir mon visage, et les images de cet instant, gravées à
jamais dans ma mémoire, se projetaient dans ma tête comme un de ces vieux
films en noir et blanc, si loin par le temps, mais impossible à oublier.
Le lundi de la rentrée fut un jour bien triste, personne n’osait
rire après le discours du proviseur annonçant le décès de " l’étranger ".
C’est comme si le temps s’était arrêté autour du grand portrait du
défunt, collé sur une immense pancarte contre le mur du hall. Sur laquelle on
pouvait lire en caractères rouges : " QUE JUSTICE SOIT
RENDUE ".
Une semaine plus tard, j’appris que les coupables, honteux
de leur acte et sûrement hantés par leur conscience, s’étaient rendus de
leur plein gré à la police.
Après cela, tout était redevenu normal, la vie reprenait au
sein du lycée, une vie différente, nouvelle, une vie de respect. Oui, de respect.
Ce mot auquel il était presque impossible de penser, encore quelques mois
auparavant, était devenu le symbole des lieux, en souvenir de celui qui était
mort, sans respect. Une vie avait dû être sacrifiée, pour qu’on se rende
compte de l’importance de ce mot bref, qui en dit long.
Ce que j’ai ainsi vécu, je ne le souhaite à personne. Mais ce drame m’a appris que le respect, c’est la base de tout, et peu importe qui vous êtes, j’espère qu’après avoir lu mon histoire, vous vous en souviendrez, car sans le respect, on n’est rien.
FIN