SERIE STT / SUJET
2
CLAUDE ROY (1915-1997)
Clair comme le jour (1943)
Dormante*
Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse
ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé
toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse
ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant oeillet
distraite comme nuage et fraîche comme pluie
trompeuse comme l'eau légère comme vent
toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit
toi que j'attends toi qui te perds et me surprends
la vague en chuchotant glisse dans ton sommeil
te flaire et vient lécher tes jambes étonnées
ton corps abandonné respire le soleil
couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués
Mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse
toi qui me trompes avec le vent avec la mer
avec le sable et le matin ma capricieuse
ma brûlante aux bras frais mon étoile légère
je t’attends je t'attends je guette ton retour
et le premier regard où je vois émerger
Eurydice* aux pieds nus à la clarté du jour
dans cette enfant qui dort sur la plage allongée
NOTES
*Dormante : Ce poème a
été inspiré à Claude Roy par une jeune nageuse endormie sur une plage aux
environs de Nice.
*Eurydice :
Allusion au récit mythologique d’Orphée et Eurydice. Piquée par un serpent,
Eurydice meurt sur le rivage. Orphée obtient de Pluton, dieu des Enfers,
l’autorisation de ramener Eurydice parmi les vivants. Mais il ne devra pas se
retourner sur elle pour la regarder tant qu’elle n’aura pas regagné la lumière
du jour. Orphée se retourne trop tôt et perd à nouveau sa bien aimée à cause de
son impatience.
Questions
d’observation
1) Relevez
dans le texte un exemple d’opposition significative (2 pts).
2) Qu’a
d’original la structure du poème ? (3 pts).
3)
Etudiez la façon dont est désignée la jeune
nageuse dans la dernière strophe (3 pts).
Questions
d’interprétation
1) Montrez comment le
poète exalte la sensualité féminine (6 pts).
2) Etudiez la place de l’attente dans ce poème (6 pts).
CORRIGE
Pistes pour la correction
QUESTIONS D’OBSERVATION
1)
" mon jour ma nuit " (v 7) : antithèse (1 pt)
ou " ma brûlante aux bras frais " (v 16) : oxymore (1 pt)
L'antithèse ou l'oxymore révèlent ici difficulté à définir la personnalité, voire l’identité de la " dormeuse " : la " dormeuse " est un être mystérieux et contradictoire. (1 pt)
2)
-absence de ponctuation
-présence de majuscules permettant de repérer 2 phrases,
structure syntaxique et rhétorique particulières de ces phrases
-pas d’alternance rimes masculine/féminine
-faux alexandrins (treize pieds) aux vers 1, 5, 13 et 14
barème : 1 pt par élément de réponse (3 pts en tout)
3)
-" t’ " (v 17) : le pronom personnel de la deuxième personne exprime la proximité amoureuse. (1 pt)
-" Eurydice aux pieds nus " (v 19) : sous la forme d'une telle périphrase avec l'épithète homérique ("aux pieds nus"), la référence imagée à la mythologie montre la sublimation de la jeune nageuse. (1 pt)
-" cette enfant qui dort sur la plage allongée " (v 20) : cette périphrase réaliste marque le retour à la réalité avec le déictique " cette " et la caractérisation in extremis de la " dormeuse " comme une " enfant ". (1 pt)
QUESTIONS D’INTERPRETATION
NB: pour chacune des deux questions d'interprétation, sont exigés : une introduction, deux ou trois axes distincts, une conclusion.
Nous proposons ici le plan du développement pour chaque question..
1)
a)la position allongée et le corps qui s’offre au regard
-position allongée
indiquée dès le premier et rappelée au dernier vers (v 1 " ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse ", v 20 " qui dort sur la plage allongée ")
-un corps qui s’offre au regard et qui suscite le désir (v 10 " ton corps abandonné ", v 12 " tes cheveux ruisselants et dénoués ", v 2 et 19 " aux pieds nus ", v 16 " bras frais ")
b) le jeu des sensations
Parmi les cinq sens, c’est le toucher qui prévaut : contact heureux et direct avec les éléments naturels (ouïe : v 9, odorat : v 4, 10, vue : v 12, 18, 19, toucher : v 2, 5, 9, 10, 11, 12, 16); à ceci vient correspondre la fluidité d’un poème sans ponctuation
c)une femme en symbiose avec la nature
-relation quasi érotique avec mer (v 3 " ma nageuse ", v 9-10 personnifications de la vague qui " chuchote ", " glisse " et " flaire ", et des jambes " étonnées ")
-fusion avec les éléments (v 11 " respire le soleil ", v 9 métonymie de la " vague " qui suggère l’élément marin dans son ensemble, v 5 comparaisons qui assimile la jeune à certaines formes d'eau " distraite comme nuage ", " fraîche comme pluie ")
2)
a) une attente causée par le sommeil de la " dormeuse "
champ lexical du sommeil (" dormeuse " " rêveuse ", " sommeillant ", " berceuse ")
titre ambigu qui signifie à la fois " qui dort " et " qui est en attente ", v 4 " sommeillant œillet ", métaphore qui marque l'épanouissement à venir mais pour l’instant en attente
b)le sommeil suggérant la mort, l’attente se fait désir d’une renaissance
v 4 " ma lointaine aux yeux clos ", v 2 " ma gisante ", v 9 image d’Eurydice (cf question d’observation), avec le rejet qui met en relief l’échec de cet espoir d’une renaissance
c)une attente qui va s’exaspérant avant d’être déçue
v 6 comparaison " trompeuse comme l’eau légère ", v 13 " mon oublieuse ", v 14 " toi qui me trompes avec le vent avec la mer ", v 15 " ma capricieuse " : cette inquiétude de l’attente fait que la jeune femme est perçue comme un être insouciant, capricieux, voire infidèle à celui qu’elle ne connaît pourtant pas
v 8 / v 17 : vocabulaire guerrier (" guette "), répétition de " j’attends "
v 20 : le réveil ne se produit pas, la rencontre est donc impossible
barème :
-pour deux paragraphes : 2 pts par paragraphe ; 1 pt pour l’intro et 1 pt pour la conclusion