ARTHUR RIMBAUD :
Le "Recueil" de Douai.

Présentation de l'oeuvre



« Il y avait en tout cas quelque part à Douai un manuscrit, pour longtemps enfoui dans l'oubli et le silence, qui était un recueil poétique complet de Rimbaud, le seul qu'il eût jamais achevé. Il manquait le titre, c'est vrai, et on doit se contenter d'appellations neutres, Recueil Demeny, ou Cahiers de Douai. Rimbaud n'avait pas eu le temps d'établir la table des matières, mais il est aisé, - et peut-être urgent - de le faire à sa place. »

par Ernest Delahaye 
(Hachette-Livre)

Pierre Brunel

 

    On connaît l'histoire. Pendant les grandes vacances de l'année 1870, le lycéen Arthur Rimbaud (16 ans), qui vient de rafler les plus hautes distinctions à la distribution des prix du "Collège Municipal" de Charleville (Ardennes), décide d'abandonner le foyer familial. 29 Août : départ pour Paris. Incarcération pour vagabondage à la prison de Mazas. 6 Septembre : lettre désespérée à son ancien professeur de rhétorique, Georges Izambard (22 ans) qui le fait libérer et l'accueille dans sa maison familiale de Douai. 

    Le 26 (ou le 27) Septembre, à la veille de regagner Charleville sur les instances de "la Mother", Rimbaud se rend chez un ami de son professeur, le poète et éditeur Paul Demeny, auteur d'un recueil de poésies intitulé "Les Glaneuses" (que Rimbaud n'appréciait pas beaucoup : voir sa lettre du 25 août à Izambard ). L'auteur des "Glaneuses" est absent. A.R. dépose à son domicile une liasse de feuilles de papier sur lesquelles il a soigneusement recopié divers poèmes. Pour tout commentaire, un message hâtivement griffonné au dos de "Soleil et Chair"  : "Je viens pour vous dire adieu, je ne vous trouve pas chez vous…" Avec quelles intentions Rimbaud confie-t-il ces textes à Paul Demeny? Le billet ne le dit pas. Sans doute dans l'espoir d'une édition.

   Arthur ne se supporte à Charleville que jusqu'au 6 (ou 7) octobre, et une nouvelle fugue à travers la Belgique le ramène, vers la mi-octobre, chez Izambard, à Douai. Avant d'être rapatrié au foyer maternel le 1° novembre sous la conduite d'un commissaire de police, Rimbaud remet à Demeny les sonnets composés pendant sa dernière escapade. 

    Le manuscrit resta dans un tiroir, où il fut déniché par un admirateur dix-sept ans plus tard, longtemps après que l' "homme aux semelles de vent" eut cessé d'écrire. Demeny avait-il laissé entendre à Rimbaud qu’il pourrait éditer ses poèmes ? En tout cas, il n’en fit rien. 
Jamais la "Librairie Artistique" fondée par Paul Demeny ne compta dans son modeste catalogue les virtuoses balbutiements poétiques d'un adolescent de Charleville nommé Arthur Rimbaud. 

    Le 10 juin 1871, Rimbaud écrit à Demeny: « brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d'un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai ». Heureusement pour nous, une nouvelle fois, Demeny resta sourd aux désirs du jeune poète. S'il avait obéi, la plupart de ces textes nous seraient restés inconnus.    

    Dans son livre Rimbaud, projets et réalisations (Champion), Pierre Brunel montre chez le jeune Arthur Rimbaud l'existence d'une ambition littéraire – toujours déçue, contrariée qu'elle fut par les ratages de la vie quotidienne ou les reniements de la "vieillerie poétique". Il décrit un désir précoce de "faire carrière" dans la poésie, se révélant dans des stratégies de diffusion : édition dans des revues; envoi de lettres accompagnées de poèmes à des auteurs en vue comme Banville ou Verlaine. Le recopiage des 22 poèmes du "Recueil Demeny", exécuté par Rimbaud à l'automne 70, à Douai, constitue pour ce critique un véritable projet de recueil. 

    Cette hypothèse est partagée, semble-t-il, par la plupart des spécialistes actuels.

 

Edition conseillée : Rimbaud, "Poésies", Livre de Poche, pages 100 à 138
(édition Pierre Brunel)